Écouter le podcast de cet article :
Par Mustapha Sehimi
Narratif d’un quinquennat
Un gros pavé de près de 600 pages ! Par-delà l'histoire de son quinquennat, il exprime sa préoccupation sur le temps long, à savoir un monde confronté à "une crise de civilisation". Un changement de paradigmes. Un basculement de l'axe de la planète vers l'est, en particulier lié à la démographie.
L'Asie est devenue en effet l'axe stratégique majeur avec une population de quelque quatre milliards et demi d'habitants alors que tout l'Occident (États-Unis et Europe) dépasse à peine les huit cents millions d'âmes. L'ordre international d’antan ne pouvait qu'être bousculé, ébranlé même, par ce déplacement des plaques tectoniques existantes.
Il faut rendre justice à l'ancien président français d'avoir souvent fait le bon diagnostic des mutations en marche et d'avoir veillé à en faire part tant auprès des pays du G7 que devant bien des instances internationales.
Une mondialisation erratique, une forte altérité des puissances élargie à des acteurs comme la Turquie, un capitalisme dénaturé par son changement en "capitalisme financier", spéculatif voire même prédateur : tel était, entre autres, son incessant réquisitoire avec son lot d'interpellations.
A-t-il été entendu ? Pas vraiment, notamment du côté du président Obama, alors que la chancelière allemande Angela Merkel était, même avec lenteur, plus réceptive. Sur son bilan intérieur, il explique longuement ses réformes et les difficultés rencontrées. Il évoque les positions de certains politiques pour lesquels il montre peu d'estime (François Fillon, Valérie Pécresse) et du côté de ses adversaires... François Hollande ; d'autres sont mieux traités (Rachida Dati, Gérald Darmanin, actuel ministre de l'Intérieur). Un tableau, version sarkozyste de tout un personnel politique...
A l'endroit d'Emmanuel Macron, le président Sarkozy a des sentiments mêlés qui paraissent aujourd'hui marqués du sceau de la critique publique d'ailleurs. Ce décalage se manifeste à propos du conflit russo-ukrainien, mettant à mal une certaine proximité des années précédentes. Il appelle en effet à renouer et à renouveler le dialogue avec Poutine ; à mettre fin à la livraison d'armes à Kiev ; et à recourir à "la voie de la diplomatie [qui] n'a pas été utilisée jusqu'au bout".
Il donne l'exemple de ce qu'il avait entrepris auprès de Poutine durant "huit heures d'entretiens extrêmement violents", au terme desquels Moscou a finalement retiré ses chars de Géorgie.
Enfin, des pages sont consacrées au Maroc, son pays de cœur - un "pays frère". Il souligne combien le Maroc est proche de la France, devenu "une grande puissance africaine" ; l'hospitalité et la générosité aussi du peuple marocain, attaché à son identité nationale. Sur les relations entre Paris et Rabat, il met en garde le président Macron contre le "tropisme algérien" qui ne pourra que lui procurer des déceptions. Il remet en cause ainsi une "amitié artificielle" entre les deux pays. Pourquoi ?
Par suite de la faible représentativité et popularité du régime algérien en place lequel "a besoin d'un adversaire (comme la France) pour détourner l'attention du peuple algérien de l'échec patent du pouvoir". Il appelle à un rééquilibrage des relations avec Rabat : "Nous ne gagnerons pas la confiance de l'Algérie et perdrons celle du Maroc. C'est un pari dangereux, de surcroît condamné d'avance".
Dans cette même ligne, il appelle à une claire position de la France en faveur du Sahara marocain, " une question centrale pour les intérêts stratégiques du Maroc". Sur ses relations personnelles avec SM Mohammed VI, il ne tarit pas d’éloges : " un homme de large culture et d'une finesse intellectuelle éblouissante", ou encore "un grand Souverain"...
Un livre-référence : sur un quinquennat (2007-2012), sur la France d'alors, sur une certaine gouvernance confrontée à tant de défis. Et sur la rudesse de tant de pentes à remonter et les difficultés à surmonter...
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid