Celui dont les derniers mots seront < il n'y a de dieu que Allah > entrera au paradis.
J'ai réentendu ce hadith charif (citation du prophète) récemment, et je me suis remémoré les événements du coup d'État de Skhirat du 10 juillet 1971, et les scènes horribles qui l'ont marquée, mais surtout le comportement exceptionnel de certains grands hommes dont voici l'histoire de l'un d'eux :
Dans les premières minutes de ce massacre, au cours duquel plus d'une centaine d'invités marocains et étrangers ont perdu la vie et des dizaines ont été blessés, et au moment où les jeunes mutins tiraient sur tout ce qui bouge ou qui lève la voix, j'ai vécu la scène extraordinaire suivante :
Nous étions rassemblés au bord de la piscine, entourés de mutins de tous côtés, mains en l air, et soudain on nous a demandé de sortir vers le terrain du golf, qui nous séparait d'un mur. Nous devions marcher vers la porte un par un, tout en entendant les tirs des mitrailleuses et des basoca venant de derrière le mur sans relâche, ce qui nous a fait croire que tous ceux qui atteindraient la porte mourraient sur le coup.
Nous marchions donc dans ce long couloir composé de deux rangées de soldats à notre droite et à notre gauche, sans aucune possibilité d'échapper a ces exécutions sommaires, et alors que nous continuons à marcher vers la porte, c'est-à-dire vers la buse des mitrailleuses, j'ai entendu soudain une voix qui se lève parmi ceux qui s'approchaient de la porte, c'est-à-dire au bord de la mise à mort, et qui crie en levant les doigts vers le ciel : « O serviteurs de Dieu, témoignez à haute voix, dites : "Il n'y a de Dieu qu'Allah et que Mohamed est son prophète ".
J'ai pensé dans un premier temps que cette désobéissance de sa part pourrait provoquer son exécution avant même d'atteindre la porte et peut-être nous aussi qui étions près de lui, mais juste après j'ai eu un sentiment de gratitude envers cet homme courageux qui nous rappelle de lire chahada avant d accéder a la porte, c'est-à-dire de confronter la mort.
Finalement nous avons franchi cette porte donnant sur le terrain de golf sans que quiconque parmi nous ne soit abattus comme nous l'avions imaginé, car ce que nous entendions n était finalement que des coups de feu dans le ciel tirés par les mutins pour des raisons dont nous ne connaîtrons la signification que plus tard.
J'ai passé beaucoup de temps après cet événement,à chercher qui était cette personne exceptionnelle ,o combien courageuse , qui m’avait rappelée chahada à ce moment crucial de ma vie ,jusqu'à ce qu'un ami qui a vécu la même scène me dise que cet homme pieux habillé en djellaba blanche, qui a osé élever la voix au mépris des ordres strictes des mutins surexcités ,pour rappeler aux gens de lire chahada à haute voix , n'est autre que le leader du parti de l'indépendance feu Allal al-Fassi, que Dieu ait son ame en miséricorde , l'auteur du best-seller « l'auto-critique » et le concepteur de la « philosophie de taadoulia » (concept proche de l’égalitarisme equitable) , qui va mourir trois ans après cet événement, emporté par une crise cardiaque, alors qu'il se trouvait en seance de travail avec le président roumain Ceaușescu, dans le cadre d une mission en faveur de la cause palestinienne.
Cinquante ans se sont écoulés depuis cet événement, et je ne cesse de penser à cet homme dont le caractère courageux se révèle exceptionnel dans les situations les plus sombres .
Que la miséricorde de Dieu soit sur vous, ô grand zaim, érudit, poète et politicien moudjahid, qui m'a rappelé la récitation de chahada "Il n'y a de dieu que Dieu" en ce jour fatidique.
Driss El Kettani Ex ambassadeur
NB ; je ne suis pas et je n ai jamais été membre du parti de l isticlal . Je ne fais que rapporter un geste d un homme extraordinaire dans une situation exceptionnelle .
Article publié en arabe dans le quotidien Akhbar alyaoum et disponible sur mon site https://drisskettani.net/