Par Abdeslam Seddiki.
D’aucuns peuvent se demander comment un gouvernement en fin d’exercice peut s’attribuer une telle prérogative en vertu de laquelle il engage l’équipe qui lui succédera au lendemain des élections prévues pour le 8 septembre. Question légitime a priori. Mais au regard des dispositions constitutionnelles et de la nécessité de la continuité des services de l’Etat, une telle démarche est totalement compréhensible.
D’ailleurs, ce n’est pas une pratique nouvelle. Et il suffit de rappeler le fait qu’en 2016, le gouvernement Benkirane en a fait de même. Dans la mesure où le calendrier électoral et le calendrier budgétaire se chevauchent, il ne pouvait en être autrement. Le prochain gouvernement ne disposera pas de suffisamment de temps pour préparer un PLF qui ne devrait intervenir dans tous les cas qu’après avoir obtenu la confiance du parlement sur la base d’un vote majoritaire en faveur de la déclaration gouvernementale.
Par conséquent, en entamant la préparation du prochain PLF, avec même un peu de retard, le gouvernement ne fait qu’exercer ses prérogatives constitutionnelles. Libre au gouvernement, qui lui succédera, de revoir la copie soit avant son adoption par le nouveau parlement, soit en recourant, le cas échéant, à une loi de finances rectificative.
Mais sans spéculer sur ce qui va se passer à l’avenir, contentons-nous à présent d’examiner le contenu de la note de cadrage et le contexte général dans lequel elle a été préparée.
En effet, le contexte est marqué par deux faits majeurs qui ont été déterminants pour les principales priorités du prochain PLF : d’abord, la persistance de la crise sanitaire avec ses conséquences économiques et sociales.
Cette crise a montré la nécessité de revoir un certain nombre de choix et de priorités au niveau des politiques publiques pour se concentrer sur les biens communs et la valorisation du capital humain ; ensuite, la publication du rapport sur le nouveau modèle de développement et le débat qui a accompagné ce travail du début à la fin ont rendu nécessaire le changement de cap par la mise en œuvre des principales mesures et recommandations contenus dans le rapport, ayant reçu l’approbation du Souverain, et reprises dans le « Pacte National pour le développement » élaboré en concertation avec les partis représentés au parlement.
Ce qui lui confère une légitimité et une crédibilité incontestables. Les priorités du pays pour les prochaines années découlent nécessairement de cette double contextualisation et s’inspirent largement des derniers discours du Roi appelant au changement.
Pour ce qui est des priorités du prochain PLF, elles sont au nombre de quatre :
i) consolidation des bases de la relance économique ;
ii) renforcement des mécanismes de l’inclusion et du progrès dans la généralisation de la protection sociale ;
iii) valorisation du capital humain ;
iv) réforme du secteur public et amélioration de la gouvernance. Chacune de ces priorités est déclinée sous un nombre de mesures et de réformes.
Ainsi, au chapitre de la relance, il est proposé d’opérationnaliser le Fonds Mohamed VI pour l’investissement, de soutenir la PME, de mettre en place un système fiscal simplifié et incitatif, d’adopter la nouvelle charte d’investissement, d’appliquer la loi-cadre portant sur la réforme fiscale et la nouvelle feuille de route sur la formation professionnelle.
Au niveau de la généralisation de la protection sociale et de l’inclusion, la note de cadrage préconise de mobiliser une enveloppe additionnelle de 8,4 MM DH, d’accélérer la mise en œuvre du RSU (Registre Social Unifié), de procéder à la réforme du régime des retraites et de la compensation, de renforcer la participation de la femme à tous les niveaux et de promouvoir la diversité culturelle.
En matière de valorisation du capital humain, l’accent est mis essentiellement sur la poursuite de la mise en œuvre de la loi-cadre relative à l’éducation dont notamment la généralisation du préscolaire et l’amélioration de la qualité de notre enseignement d’une part et sur la réforme profonde de notre système national de santé à travers la mise à niveau de l’offre sanitaire, la valorisation des ressources humaines, la révision de la politique des médicaments et le soutien de la production nationale.
Enfin, au niveau de la réforme du secteur public et de l’amélioration du mode de gouvernance, les mesures prévues consistent, entre autres, à mettre en œuvre la loi-cadre relative à la réforme des établissements et entreprises publics, à accélérer la réforme administrative en simplifiant davantage les procédures, en développant le numérique et en dynamisant la déconcentration, à rationaliser les SEGMA et les CST, à réformer le système juridique…
Ces priorités s’inscrivent dans l’ensemble en symbiose avec les attentes des citoyens et du NMD. On y trouve un équilibre parfait entre les mesures incitatives à l’investissement et les mesures visant l’amélioration du niveau de vie des Marocains. Voilà un gouvernement qui a fini par comprendre, à la fin de son mandat, ce dont le Maroc a besoin. Il aura au moins ce « mérite » après avoir failli sur presque tous les plans au cours de sa mandature.
Avec le PLF 2022, c’est une nouvelle étape qui s’ouvrira devant le pays. Etape qu’on qualifiera prudemment de « post néo-libérale ». Les intentions de tourner la page du néo-libéralisme qui nous a fait beaucoup de mal sont réelles. Reste à savoir comment cela va-t-il se traduire sur le terrain et qui fera quoi.
Comme on ne fait pas du nouveau en formatant juste l’ancien, le pays a besoin d’un changement de politique et de nouvelles compétences capables de porter les réformes préconisées et de piloter les mesures envisagées. Car il ne suffit pas d’entrevoir de bonnes mesures et de confectionner de bons plans, encore faut-il veiller à leur mise en œuvre et avoir le courage d’affronter les résistances sur le terrain.
C’est l’enjeu majeur des prochaines élections. On aura la réponse le soir du jour du scrutin. Pour éviter toute déconvenue, il faudrait aller massivement aux urnes et saisir cette opportunité historique qui nous est donnée !
Abdeslam Seddiki.