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Par Souad Mekkaoui
En effet, pour invalider l’adoption du texte controversé, le gouvernement a dû faire face à deux motions de censure dont la première « transpartisane » a été déposée par le groupe Liot (Libertés, Indépendant, Outre-mer territoires). La deuxième, elle, a été présentée par les 88 députés du groupe d’extrême droite, le Rassemblement national (RN) à la Chambre basse pour faire tomber le gouvernement.
La conjoncture actuelle déjà accentuée par l’inflation et une forte hausse des prix de l’énergie, le degré d’agitation a atteint son paroxysme quand la Première ministre, Elisabeth Borne avait engagé la responsabilité de son gouvernement en faisant recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer le projet de réforme des retraites.
Ce qui a suscité la colère et l’indignation des oppositions qui ont dénoncé un « déni » et un « choc » démocratique de la part de l’Exécutif. Depuis, Paris et plusieurs autres villes françaises connaissent des manifestations et des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre sans oublier que des centaines de milliers de Français manifestent depuis le 19 janvier.
À cela s’ajoute la grève des éboueurs qui dure depuis près de deux semaines, plongeant la ville lumière sous des milliers de tonnes de déchets. C’est dire que le pays vit une nouvelle crise politique et sociale, après celle des « gilets jaunes », suscitant colère et indignation.
Macron, ce Président par qui le chaos est arrivé
Face aux contestations populaires devenues contagieuses et face aux dénonciations des syndicats, la détermination d’Emmanuel Macron, qui se montre braqué s’appuyant sur sa première ministre, en très mauvaise posture, frôle l’entêtement et fait grossir une colère qui ne dit pas son nom.
Il faut dire que tous les ingrédients sont là pour les déstabiliser davantage. Selon l’institut de sondage « Ifop », la popularité du président français a reculé à 28 % en mars, un niveau jamais atteint depuis 2019 au sortir de la crise des « gilets jaunes ». Selon le même sondage, la popularité d’Emmanuel Macron a chuté de 13 points depuis sa réélection en mai 2022, pour se situer désormais derrière sa Première ministre, Élisabeth Borne (29% de satisfaits).
Bien entendu, son gouvernement qui a brandi l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter sa réforme, y est pour quelques chose aussi puisqu’il traduit un échec cuisant de rassembler une majorité. Pour rappel, l’Exécutif a dû dégainer le 49.3 pour la 11ème fois depuis l’arrivée d’Elisabeth Borne -qui a nourri les blocages-, pour éviter un vote défavorable des députés.
Après son retrait de plusieurs semaines laissant sa Première ministre essuyer la colère des députés, le président de la République sort, enfin, du bois pour user de ses formules travaillées et ses gestes calculés comme à son habitude afin de tenter de calmer les esprits et rassurer son électorat « retraité » qui regarde les JT de 13 heures de TF1 et de France 2.
Et pour ne rien laisser au hasard, sa sortie a lieu à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation syndicale, jeudi.
Bien entendu, sa réforme phare du report de l’âge légal de la retraite de 62 À 64 ans a été adoptée définitivement ce lundi par le Parlement, au forceps. Mais l’ensemble des syndicats et la quasi-totalité des oppositions ne démordent pas et continuent de réclamer son retrait.
En effet, dans un contexte houleux de contestations sociales encadrées par les syndicats depuis deux mois, le recours à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer le texte sans vote a donné matière aux violences, et comme si cela ne suffisait pas, Macron a l’art de raviver les braises pour donner la touche finale. Finalement, comme dirait di Lampedusa « Il faut que tout change pour que rien ne change ».
Une rupture démocratique dans le pays
Bien que votée à peu de voix, cela place le gouvernement dans une situation difficile puisqu’il sera là pour quatre ans encore et sera amené à passer d’autres lois et d’autres réformes dont la première serait celle portant sur l’immigration alors qu’il est plutôt isolé des populations, des acteurs sociaux et des partis politiques.
D’autant plus que même si cette réforme est adoptée, cela ne résoudra pas les problèmes d’un pays qui vit à crédit d’où le risque de vivre des crises récurrentes jusqu’à la fin du quinquennat.
D’ailleurs, le monde entier assiste depuis quelques semaines à un spectacle des plus désolants de la Ve République. À Paris comme à Rennes, à Lille, à Grenoble, ou à Nantes, un face à face tendu avec échanges de jets de projectile et de gaz lacrymogène oppose des centaines de personnes aux forces de l’ordre.
Plus hallucinant encore, ce mardi 21 mars, Emmanuel Macron s’exprimait devant les parlementaires de son camp pour nourrir davantage ses contradictions en affirmant qu’il fallait « apaiser » et « écouter la colère » des Français avant d’ajouter que « La foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus » et « l’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple ». Des propos qui ne sont pas du tout adaptés à un contexte déjà agité surtout que ses discours, qu’il veut philosophiques, n’accrochent plus personne.
Preuve en est sa dernière sortie télévisée qui n’était autre qu’un plaidoyer de lui-même dans un « je » de majesté et de la démagogie suintant l’arrogance et la provocation.
Au moment où les Français sont dans le feu de l’action, à un moment où le gouvernement, qui a marchandé pendant plusieurs semaines, a perdu de toute sa sérénité, et en plein dans les tensions et la confusion qui règnent partout, Macron jette de l’huile sur le feu et ravive les colères, mercredi 22 mars, lors de son interview télévisée où il a voulu donner le change.
C’est dire qu’aujourd’hui, Macron passe plus pour un président dictateur qui donne un coup de massue aux valeurs de la démocratie, suscitant même une révolte institutionnelle. Au lieu d’ouvrir le débat, il dit assumer l’impopularité si c’est dans l’intérêt général sauf que la rue ne l’entend pas de cette oreille. « le problème, c’est le président de la République » a estimé le chef des députés LR, Olivier Marleix.
L’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, lui, estime que Macron a « mis le feu et fermé toutes les issues » en « passant en force » au moment où pour la cheffe de l’extrême droite, Lepen, le président avait seul « les clés d’une crise politique qu’il a créée » soulignant qu’elle ne participera pas à éteindre le feu de la contestation contre la réforme des retraites. Ainsi, la porte est désormais ouverte à tous les dérapages.
Ce qui est sûr c’est qu’Emmanuel Macron est en train de vivre l’une des étapes les plus critiques de ses deux mandats, faisant face à des syndicats bien déterminés, à des partis politiques qui se dispersent autour de lui et à un peuple bien remonté plus que jamais. Pris dans un étau où partis politiques, syndicats et citoyens serrent chacun de son côté, il aura à coup sûr, privé qu’il est de la majorité absolue depuis les législatives de juin, à jouer au bras de fer avec les Français pour le restant de son mandat.
D’ailleurs, le mécanisme est déjà déclenché puisqu’il annonce juste après la motion de censure contre le gouvernement rejetée de seulement neuf voix, qu’il n’y aura ni dissolution, ni remaniement, ni référendum. Le match de lutte est ainsi déclaré par le Chef de l’État qui déclare passer aux réquisitions en cas de besoin.
L’évidence est là, le président de la République décide et impose dans un déni de démocratie qui ne manquera pas d’avoir des répercussions néfastes sur la vie politique, sociale et économique du pays.
Pourtant, c’est ce même Emmanuel Macron qui avait pourtant lancé en juillet 2019, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles l’ambitieuse idée d’une France « qui a les moyens de devenir de nouveau une puissance au XXIe siècle » en appelant à en finir avec le « renoncement où nous nous sommes enfermés depuis quarante ans qui voudrait que la France ne soit qu’une puissance moyenne ».
Mais les paroles s’envolent trop vite et ne restent que les propos méprisants à l’égard des classes populaires, parce qu’il faut bien le dire : s’il suscite encore une fascination au sein d’une certaine élite financière et économique du pays, et s’il est porté et couvé par l’oligarchie, il récolte une détestation populaire très forte voire un rejet chez les populations.
En plus du spectacle d’affaiblissement démocratique qui s’offre à nous aujourd’hui, les images qui nous parviennent sont déplorables et désolantes. La ville lumière engloutie par des milliers de tonnes d’ordures sent la puanteur d’une gouvernance française devenue totalitaire et institutionnellement fragilisée.
Des rues s’embrasent, des portraits d’Emmanuel Macron partent en flammes, des jeunes qui parfois agressent les policiers, les forces de l’ordre qui donnent à voir une vraie faillite des droits de l’Homme, des carcasses de voitures brûlées, des blocages partout, de violents affrontements, un fiasco tout simplement à voir ces images qui nous font penser à une vraie guerre.
Face aux contestations sans précédent que connaît la France depuis les événements de 1968, tous appellent à s’unir pour ne pas subir. « Ça rappelle de mauvais souvenirs » avait déclaré le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, vendredi 17 mars sur RTL. La fracture du pays se creuse et la France, cette grande nation et ce grand peuple qui du président Macron n’attendent certainement plus rien, refusent à coup sûr de cautionner cette manière de faire d’un président qui n’écoute que lui-même et qui dit vouloir « moins de textes de loi parce que tout ne passe pas par la loi et on passe trop par la loi dans notre République ».
En somme, sous Macron, la France aura vécu tous les paradoxes possibles à commencer par un président qui s’est fait élire par un électorat de gauche et se retrouve, aujourd’hui, soutenu par un électorat de droite. Une crise de « régime » sans précédent divise la France.
C’est à se demander si Macron est vraiment conscient du mal qu’il fait au pays maintenant que la tension est très vive et qu’il joue seul contre tous.
Comment compte-t-il rassembler les Français jusqu’à 2027 ? L’un de ses slogans électoraux n’était-ce pas « Nous tous » ? N’est-ce pas le président de tous les Français ? Or on ne voit plus qu’un pouvoir politique qui est isolé, à la fois, de l’opinion publique, des acteurs sociaux et des partis politiques.
De toute manière, Macron a ouvert la boîte de pandore. Il est connu pour être un bon joueur de poker pour qui où ça passe ou ça casse, et voilà que jouer avec le feu rentre aussi dans sa tactique dans un climat de tension des plus critiques.
Force est de rappeler qu’un leadership politique inadéquat peut certainement mettre un pays en péril en créant des tensions économiques, sociales et politiques pouvant affaiblir l’État et la société dans son ensemble.
Aujourd’hui, on ne peut que se soucier pour le pays de la « Liberté, Égalité, Fraternité » qui tend aujourd’hui à devenir une « dictature » présidentielle et se demander : Où va la France ? À quand un retour à la normale ?
Rédigé par Souad Mekkaoui sur Maroc Diplomatique