Dr Fouad BOUCHAREB
Il m’arrivait souvent de faire le tour des centres de santé à pied en empruntant les ruelles de la médina, un véritable labyrinthe. Mr Abdellatif Kozmane un auxiliaire médical m’accompagnait toujours dans ce parcours. Véritable encyclopédie, Kozmane connaissait tous les coins et recoins de l’ancienne ville de Fès.
Notre « expédition » était toujours très instructive à plus d’un titre. Kozmane me faisait découvrir des maisons ou étaient nés des célébrités de la capitale spirituelle. Un jour il me montra au quartier Eddouh la maison des mes arrières grands-parents paternels Ssi Ahmed Benkirane et son épouse Khnata Bennis sise à Derb Al Houggar.
A la grande place de Batha se trouve la maison de ma tante Hajja Fatoum Bouchareb épouse du célébrissime Cadi Abbadi. J’ai revisité cette maison avec une grande émotion quarante cinq années plus tard, elle a été transformée en maison d’hôtes par mon cousin Mr Abdeslam Abbadi. La Maison Bleue est une des premières maisons d’hôtes de Fès sinon la première du Maroc recevait des célébrités du monde entier.
Ssi Abdeslam était très généreux et l'invitait souvent pour dîner avec lui. J’avais du plaisir à déguster de délicieux plats traditionnels fassis préparés par el Yacout, véritable cordon bleu ; Un vrai régal.
Au quartier « Makhfia » les souvenirs de mes vacances d’été surgissent chaque fois que je m’y rendais an centre de santé El Aadoua. J’avais le droit de passer mon congé chez ma tante Lalla Aouich avec mes cousins Bennis.
Un jour j’ai demandé à Kozman de me conduire à l’un des premiers dispensaires de Fès pendant le protectorat à « Zrebtana ». Je découvris une vieille bâtisse abandonnée. A l’étage on trouva ce qui restait d'un bloc opératoire.
Régnault, successeur de Saint-René Taillandier songe à étendre les moyens d’action du Dr Murat ; après quelques mois d’attente, un jardin plus ou moins abandonné et bordé de constructions inutilisables, mais bien situé est donné, par le sultan Moulay Hafid, pour l’installation d’un hôpital en 1911 : le premier hôpital/dispensaire gratuit pour les «indigènes nécessiteux» de la médina de Fès, est installé au derb Zerbtana près de la mosquée Si Ahmed ben Naceur.
On visita aussi ce qui restait du Mâristân de Sidi Frej ou on traitait les aliénés mentaux.
Les Maristanes de Fès
Le Mâristân de Sidi Frej (ou Mâristân de Fès) était un mâristân historique à Fès, au Maroc. Il a été fondé par les Mérinides au XIIIe siècle et a fonctionné comme un hôpital et un hospice pour les indigents et les malades mentaux jusqu'au xxe siècle. C'était l'un des mâristâns les plus célèbres et les plus importants du Maroc et il est possible qu'il ait influencé des institutions similaires dans la région à cette époque.
L'emplacement du mâristân est aujourd'hui occupé par un foundouk (bâtiment de type caravansérail) qui abrite diverses boutiques.
Ce bâtiment est situé entre la rue Tala'a Kebira et la Zawiya de Moulay Driss II. Il s'ouvre sur une petite place publique sur son côté ouest, distinguée par les arbres en son centre, qui était historiquement désignée comme le Souq El-Henna ou marché du henné.
Pour l’histoire, le premier mâristân du Maroc a été établi à Marrakech sous la dynastie almohade au XIIe siècle, où Ibn Rochd (Averroès) a travaillé pendant un certain temps.
Le mâristân de Fès a été fondé par le sultan mérinide Abu Ya'qub Youssouf (régnant de 1286 à 1307) à la fin du XIIIe siècle.
Ses opérations étaient financées et maintenues par des dotations religieuses connues sous le nom de habous ou waqf.
L'institution a peut-être influencé la fondation et la fonction d'établissements similaires ailleurs au Maroc et en Espagne, y compris un hôpital pour les malades mentaux fondé à Valence en 1410.
À l'origine, il fonctionnait comme un hôpital complet traitant de différents domaines de la médecine, reflétant l'état relativement avancé de la médecine dans le monde musulman à l’époque.
Je dois rappeler que dans les mâristâns du monde islamique, les maladies mentales étaient traitées avec de la musique, des arômes, de l'eau et d'autres méthodes destinées à les apaiser.
Très vite le mâristân de Sidi Frej devint l'institution la plus célèbre et la plus importante de son genre à Fès, et fut visité par les principaux érudits en médecine de l'époque, comme Abou Bakr Al-Korachi, un Andalou de Malaga.
Tous les vendredis on y faisait déjà des séances de musicothérapie par des noubats de musique andalouse et des Amdahs et chants religieux. Ce qui calmait les malades et les rendait plus dociles.
Ce mâristân avait également la curieuse fonction de fonctionner comme un hôpital pour cigognes, soignant les grues et les cigognes malades ou blessées, et enterrant celles qui mouraient. Cette charité envers les animaux a été rendue possible grâce aux dons et aux legs de diverses personnes au fil des ans.
En plus de ses services aux malades et aux nécessiteux, le bâtiment et son emplacement ont permis d'ancrer d'autres services civils dans la ville historique de Fès.
Les crieurs publics, qui tenaient également un bureau pour les objets perdus et trouvés, y avaient leur siège. Le bureau et le tribunal officiels du mohtasib, un magistrat chargé de l'ordre public, s'y trouvaient également (ou du moins c'était le cas au début du XXe siècle).
Un peu plus loin se trouve le quartier de Sidi Boujida. Le centre de santé de ce quartier a vu son offre de soins s’améliorer par l’aménagement d’une maison d’accouchement dans son enceinte et ce dans le cadre du projet de la maternité sans risque visant à réduire la mortalité maternelle.
Le logement de fonction et le rendez vous avec la mort
Le logement de fonction du centre était occupé illégalement depuis plusieurs années par une famille dont le chef avait abandonné ses fonctions. J’ai pu grâce à l’aide du gouverneur d’évacuer ce logement.
L’idée était de l’octroyer à un gardien étant donné que la maison d’accouchement allait fonctionner vingt quatre heures sur vingt et il fallait assurer la sécurité du personnel et des femmes enceintes.
En visitant le logement je l’ai trouvé modique et vétuste. Je me demandais comment une famille nombreuse y habitait pendant de nombreuses années.
Je fus aussi très surpris que le médecin chef du centre me fit une demande pour habiter ce taudis. Mon refus était catégorique car je réfutais l’idée de voir un confrère occuper ce logement.
Le médecin insista et évoqua des problèmes personnels. L’administrateur intervient aussi en faveur de mon confrère et plaida si gentiment sa cause. Je finis par obtempérer.
Dr K.B , le médecin chef du centre de santé Sidi boujida, un confrère par ailleurs très compétent et très gentil, pris ses quartiers dans cette maison deux jours avant l’aid du Sacrifice.
Le troisième jour de la fête du mouton, alors que je m’apprêtais à déjeuner en famille, le téléphone sonna. Au bout du fil la voix émue du major du centre le valeureux Mr Abdellatif Jerdaoui m’annonça le décès du Dr K.B par intoxication au CO2 dans la salle de bain par fuite gaz. Je laissais tomber le déjeuner et les brochettes de mouton et me rendis illico à Sidi Boujida.
Une fois sur place, j’ai trouvé toutes les autorités concernées sur place. Les infirmiers étaient consternés. Les infirmières étaient toutes en pleurs. Une bande de curieux ont accourus sur les lieux et chacun y allait avec sa version des faits. Le corps fut évacué à la morgue après les formalités d’usage.
Le lendemain l’enterrement a eu lieu en présence d’une foule énorme de personnel de la santé et d’amis du défunt.
J’avais tout fait pour ne pas octroyer ce maudit logement à ce médecin et lui il avait tout fait pour l’avoir. J’avais un sentiment bizarre en visitant pour la première fois ce lugubre endroit mais le Dr K.B en insistant pour y habitait ne savait pas qu’il s’était donné rendez-vous avec la mort.
Dr Fouad Bouchareb
Témoin privilégié de la santé publique marocaine