Par Abderrahim ANWAR
La traductologie, qui par sa complexité, a crée une polémique et dans le domaine scientifique et dans le domaine littéraire. Se demandant si elle est autonome ou dépendante d’autres disciplines telle la linguistique avec laquelle elle partage le même objet d’étude qu’est la langue et la littérature qui promeut une théorie de la traduction purement littéraire.
La problématique se centre sur la légitimité de traduire ; dépend-elle intimement de la discipline à laquelle on rattache la traduction ? Qui a le droit de traduire ? ; est-ce le linguiste ou le littérateur ? La traduction des œuvres littéraire demande-t-elle une approche traductologique descriptive, prescriptive ou scientifique ? S’agit-il de traduire le message dans les genres littéraires ou la possibilité des conditions de l’œuvre (l’essence de l’œuvre) ?
Dans ce sens, ce travail aura pour ambition de dresser brièvement un cadre comparatif entre la traductologie selon les linguistes et les littérateurs et de reconnaitre ainsi les types traductologiques selon Ladmiral et les théories de traduction selon Oseki-Dépré qui semblent être parfaites pour mener à bien la traduction des œuvres littéraires ainsi que le passage de la traductologie aux sciences de la traduction.
La traduction qui est une opération consistant à transposer un texte d’une langue source à une langue cible prend en considération plusieurs points essentiels : la langue en premier lieu, la culture, le lecteur et surtout le sens du texte de départ. En effet, elle est un phénomène d’invisibilité dont on présume la fidélité d’après Fournier-guillemette ; concept de fidélité que l’on retrouve aussi chez EL JAHID dans son livre l’animal. Ce dernier avance que le traducteur ( Atorjouman) ne traduit pas vraiment ce qu’a dit l’auteur (EL HAKIM),ce qui rejoint à cela l’idée de Fournier-guillemette à propos du concept fidélité qui est stérile, puisqu’il se heurte à l’impossibilité de traduire à la fois le fond et la forme du texte littéraire .
Pour les littéraires, le passage de traduire un genre littéraire d’une langue à une autre peut se révéler délicat. Ce qui, en fait, compte n’est pas le message, n’est pas non plus communication mais plutôt l’essence de l’œuvre d’art, une âme littéraire qui existe en dehors du texte ; et c’est ce qui rend l’opération de traduction difficile. Benjamin, 2000 : « retire donc l’œuvre littéraire du schéma de communication et considère que ce n’est pas le « message » du texte qui doit être décodé et recodé, mais cette ineffable essence, Meschonnic aussi dans le même bateau critique la traduction portant seulement sur le domaine de la langue sans prendre en considération le discours, l’écriture qu’il faut réellement traduire.
Benjamin distingue le visé – le mot et le mode de visée – la littérarité. En niveau de la traduction littéraire, ce qui importe est le mode visé, cela veut dire qu’on part au- delà du mot pour rechercher ce que Robel a appelé les conditions de possibilités de l’œuvre. Donc, ce qu’il faut traduire et l’essence de l’œuvre, ce que souhaite transmettre vraiment l’auteur du texte : son intention (le type traductologique dont a parlé Ladmiral en révèle plus)
Or, la traductologie qui demeure une branche de linguistique inhibe les représentations des littérateurs qui donne la priorité et la primauté à l’essence de l’œuvre en dépassant les mots. Mounin dans les problèmes théoriques de la traduction voit que cette dernière est un phénomène de bilinguisme qui ne peut émerger que grâce à la linguistique et particulièrement les universaux du langage qui est une particularité commune à toutes les langues telle la double articulation. Par conséquent, il s’avère qu’il est difficile même de parler d’une théorie de traduction purement littéraire car la linguistique reste une science indispensable fournissant une compréhension du plurilinguisme à la traductologie.
Pour relever le défi, Oseki-Dépré propose des théories de la traduction littéraire : théorie prescriptive, descriptive, prospective mais la première est purement linguistique en ce sens qu’elle s’attache aux règles normatives et permet de garder et prendre soin de la langue d’arrivée, ce qui ne fausse nullement la lecture de l’œuvre. Quant à la théorie prospective, elle est loin de remédier à un dysfonctionnement dont se lamentent tous les traducteurs : la fidélité. En somme, l’analyse de la traduction d’un texte littéraire fait appel aussi bien à la linguistique qu’à la littérature. Ladmiral est pour rendre hommage à une grande pointure de la traduction André Clas débats le sujet du discours méta-traductif à travers lequel il distingue l’approche contrastiviste qui renvoie à un dispositif de recherche linguistique de l’approche traductologique qui considère la traduction comme objet d’étude. Puis après, il donne une typologie de la théorie de la traduction qui correspond en quelques sortes aux théories d’Oseki.
La traductologie prescriptive, descriptive, scientifique et productive. Ladmiral remarque que la traductologie prescriptive ne peut assumer une très bonne traduction car il se focalise beaucoup plus sur l’aspect linguistique et écarte toute communication intertextuelle. Par contre, la traductologie descriptive tente à traduire des items linguistiques d’une langue à une autre indépendamment du contexte ( aspect pragmatique),il s’agit d’après Ladmiral d’un transfert interlinguistique qui obéirait à la logique d’un schéma transformationnel, elle consiste à convertir les formes linguistique de la langue de départ à la langue d’arrivée. Ce travail est mené par ce que Ladmiral a appelé les contrastivistes plutôt que ls traductologues.
La dichotomie sourciers vs ciblistes résume les quatre typologies traductologiques dans la mesure ou les sourciers qui donne la primauté au signifiant en le traduisant d’une langue source à une langue cible opte pour la traductologie descriptive alors que les ciblistes qui mettent en exergue le sens du texte prennent en considération la traductlogie productive a un rôle de théoriser la traduction et rendre la pratique traduisante plus fluide. Les ciblistes restent les vrais traductologues en ce sens qu’elle mettent en jeu la parole donc le discours, le texte tandis que les sourciers se contentent de la reproduction mécanique du texte sans mettre en pratique le sens du texte et ses enjeux. La traductologie qui auparavant s’intéresse principalement aux textes littéraires théorise des opinions à travers plusieurs disciplines comme la linguistique, la psychologie, la littérature au profit de la traduction afin de lui permettre de bien mener l’opération traductionnelle.
Donc le passage de la traductologie aux sciences de la traduction demande une coopération entre les diverses disciplines qui sortent de leur cloisonnement pour atteindre de nouvelles perspectives qui ne sauraient être abordées que grâce à l’ouverture (décloisonnement) sur les autres disciplines, ce qui ne diminue nullement l’intérêt ou l’autonomie de telle ou telle activité. La traductologie use des concepts ou des acquis des autres disciplines et vice versa. C’est dans cette perspective que la traductologie use de la linguistique contrastive et la traduction sert à son tour comme d’appréhender la langue. Nous pouvons donc parler d’une complémentarité entre la traductologie et la linguistique, la littérature, pragmatique et philosophie.
Depuis son apparition, la traductologie est en quête d’autonomie, elle cherche à se délivrer de la mainmise de la linguistique et cherche son indépendance pour devenir une science à part entière mais le matériau utilisé et l’objet d’étude rapprochent les deux disciplines malgré elles. Nous connaissons certes le début de la controverse mais nous ne connaitrons jamais la fin.
Abderrahim ANWAR : Enseignant de français et étudiant-chercheur en Science du Langage et Traduction (SLT)
Références bibliographiques
Sourcier ou cibliste. Les profondeurs de la traduction, Paris, Les Belles Lettres, coll. "Traductologiques", 2014 ; 2e éd. revue, 2016.
Jean-René Ladmiral : une œuvre en mouvement », no 3 de Des mots aux actes, 2012, 396 p.
I. Oseki-Dépré (1999), Théories et pratiques de la traduction littéraire, Paris, Armand Colin, coll. « U ».
J. Derrida (1985), « Des tours de Babel », Difference and Translation, Cornwell Presse, Éditions Joseph Graham.
Jean-René Ladmiral, À partir de Georges Mounin : esquisse archéologique, TTR, VIII-1, 1995, p. 63. Georges Mounin n’a sans doute jamais utilisé le terme de traductologie, parlant en son temps de théorie de la traduction, voire de problèmes théoriques.
Abderrahim ANWAR : Enseignant de français et étudiant-chercheur en Sciences du Langage et Traduction (SLT)