Par Abdeslam Seddiki
Il faut préciser, de prime abord, qu’il ne s’agit nullement d’une légalisation tous azimuts comme le laissent entendre sciemment certains démagogues qui n’ont même pas pris le soin de lire le projet de loi pour savoir de quoi s’agit-il au juste. Autrement dit, la légalisation en question, comme cela est précisé dans le titre du projet porte sur l’usage légal du cannabis. L’objectif consiste à passer d’une situation d’interdiction totale, avec ses avatars, à un « encadrement » de cette activité, millénaire faut-il le préciser.
Ce faisant, le Maroc ne veut pas se priver des opportunités multiples qu’offre la culture de cette plante sur des domaines qui lui sont utiles à la fois sur le plan industriel et sur le plan médical tout en protégeant les agriculteurs des réseaux mafieux.
Ainsi, toutes les activités liées à la plantation, la production, la transformation, le transport, la commercialisation, l’exportation, l’importation du cannabis et de ses produits seront désormais soumis au régime de licence qui nécessite une autorisation préalable. Par conséquent, les superficies cultivées seront fixées en fonction des besoins et de la demande des secteurs utilisateurs.
Il en est de même des régions concernées par cette activité, aujourd’hui limitées aux provinces du Nord. A cette fin, le projet de loi prévoit la création d’une Agence Nationale, établissement public jouissant de la personnalité morale et de l’autonomie financière, chargée de la coordination entre les différents intervenants dans le développement de la filière agro-industrielle. Cette Agence est dotée de larges prérogatives embrassant les différentes étapes du processus à tel point que rien ne peut se passer sans son aval. D’où le risque d’une dérive bureaucratique. Par ailleurs, en vue de faciliter les rapports entre les producteurs-paysans à la fois avec ladite Agence et les Industriels, il est prévu l’obligation pour ces paysans de se constituer en coopératives.
Enfin, des sanctions sont prévues contre toutes les infractions commises.
Il faut préciser que cette légalisation ouvre à notre pays de multiples opportunités à la fois sur le plan de l’industrie pharmaceutique et sur le plan économique. On estime, en effet, que les produits de santé contenant cannabis (PSC) présentent un intérêt certain pour un certain nombre de maladies telles que : problèmes gastro-intestinaux (nausées, indigestion ou problèmes d'appétit); affections cutanées (le psoriasis, l'eczéma ou les soins de la peau); récupération ou relaxation musculaire; effets secondaires des traitements du cancer; troubles neurologiques du comportement (l'autisme, le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité, la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson); convulsions et d’autres encore…
Pour ce qui est du chanvre à usage industriel, les emplois sont là aussi multiples. Ils concernent le textile, la fabrication du papier, le cosmétique (produits anti-âge, des savons, des lotions), le plastique biodégradable et non polluant, le biocarburant, le bâtiment. Les matériaux ainsi utilisés, peu polluants lors de leur fabrication sont aussi beaucoup plus faciles à recycler.
Bien sûr, les effets escomptés n’apparaitront pas du jour au lendemain. Il faudrait absolument se doter d’un business plan avec des objectifs à moyen et long termes. Il serait illusoire de considérer qu’une simple légalisation du cannabis serait en mesure de produire des merveilles et de résoudre tous les problèmes. Comme il serait naïf de penser que tout se déroulera dans les règles de l’art.
L’essentiel est ailleurs : créer une dynamique irréversible qui commence par la réconciliation de la population avec son milieu naturel en mettant fin aux spoliations et aux poursuites dont font l’objet les paysans cultivateurs de cette plante jugée jusqu’à présent illicite d’une part et à la dégradation du milieu naturel qui découle de l’exploitation excessive des sols d’autre part. Tous les travaux de recherche effectués dans les provinces du Nord ont relevé ces deux phénomènes.
Bien que l’on ne dispose pas de chiffres précis et réguliers sur les revenus générés par le cannabis, on estime, d’après certaines sources relativement anciennes, que la part qui revient aux paysans serait de près de 2 MM DH (soit un revenu annuel moyen de 20000 DH par cultivateur) alors que la part engrangée par les trafiquants et les intermédiaires multiples, marocains et étrangers, s’élèverait à 12 MM$ (soit 54 fois ce qui revient aux paysans !!). Par conséquent, laisser perdurer une telle injustice est inadmissible.
Pour être clair, tous ceux qui se prononcent aujourd’hui contre le projet de loi actuel, vont non seulement à l’encontre du progrès humain, mais et c’est beaucoup plus grave, défendent, objectivement, les intérêts des narcotrafiquants !
En somme, c’est à notre pays de saisir cette opportunité pour ouvrir réellement une nouvelle page et appréhender les problèmes soulevés avec des objectifs clairs et une nouvelle méthode. Il faut se concentrer sur les atouts que représente le cannabis pour le développement de notre pays sur les plans pharmaceutique et industriel. Tout en œuvrant au drainage des investissements étrangers pour se positionner sur le marché mondial, le pays doit afficher son ambition de parvenir, à terme, à disposer d’une expertise marocaine et d’une industrie pharmaceutique capable de capter davantage de valeur ajoutée et d’accompagner le chantier de la généralisation de la couverture médicale.