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Par Ali Achour Ambassadeur Marocain (1993-2011) et Chroniqueur
Contrairement à ce qui a été dit, l’annonce n’a pas été retardée parce que Tel Aviv aurait posé des conditions ou exigé une contrepartie. L’appui israélien au Maroc dans cette question est sans faille et n’a jamais fait de doute. Il restait seulement à déterminer le moment le plus approprié pour faire l’annonce officielle. Le timing était important et l’alignement des planètes tout autant. La diplomatie marocaine, en maitresse aguerrie des horloges, a finalement estimé le moment venu. «Avant l'heure, c'est pas l'heure ; après l'heure, c'est plus l'heure » a dit feu Hassan II dans une conférence de presse, en 1972, reprenant une phrase de Jules Jouy qui a donné son titre à une chanson connue.
La lettre de Benyamin Netanyahu a été rendue publique le 17 juillet, soit le jour de l’expiration des accords du Maroc avec l’Union européenne et une semaine avant les élections générales en Espagne. On peut y voir des messages à l’intention de ceux qui croient pouvoir agiter la menace d’un revirement.
La lettre israélienne non seulement fait part de la décision de reconnaitre la marocanité du Sahara, en précisant qu’il s’agit d’une « décision d’Etat », mais elle va plus loin et expose les intentions du gouvernement israélien ainsi que les mesures qu’il compte prendre dans le but de concrétiser cette décision.
• la décision israélienne sera « reflétée dans tous les actes et les documents pertinents du gouvernement israélien ».• cette décision sera notifiée « aux Nations Unies, aux organisations régionales et internationales dont Israël est membre, ainsi qu’à tous les pays avec lesquels Israël entretient des relations diplomatiques ».• Israël envisage l’ouverture d’un consulat à Dakhla.
Israël n’est pas un Etat quelconque et sa décision n’est pas anodine comme se plaisent à le dire les renégats de Tindouf désorientés en l’absence d’une réaction officielle d’Alger. La reconnaissance israélienne aura des conséquences à grande échelle tant elle met la pression sur tous ceux qui hésitent ou trainent les pieds.
D’aucuns spéculent sur la contrepartie ou les concessions qui ont été obtenues par la partie israélienne. Certes, dans les relations entre Etats, il n’y a pas place pour les sentiments. Mais, justement, la relation entre le Maroc et Israël n’est pas banale.
Elle est sans doute faite d’intérêts, mais la charge émotionnelle l’emporte sur toute autre considération. Les Israéliens, en général, qu’ils soient ou non originaires du Maroc, aiment notre pays. Quant aux Juifs marocains ou ayant des origines marocaines, qu’ils soient ou non Israéliens, le Maroc occupe une place à part dans leur cœur, ils ont pour la terre de leurs ancêtres une affection infinie, un amour passionnel et une loyauté à toute épreuve. Sans compter un respect et une grande admiration pour « Sidna ».
Un membre de la Knesset, né à Casablanca, m’a dit en une occasion (en darija) : « Le Maroc est une terre sacrée, une couronne au-dessus de notre tête ». Ce ne sont pas des paroles en l’air, j’ai eu l’occasion de le vérifier plusieurs fois dans le cadre de mes fonctions.
Des critiques ont été émises ici ou là, par quelques-uns, qui désapprouvent non pas la décision, mais l’Etat qui l’a prise. Les propos qui reviennent le plus souvent sur les réseaux sociaux, en laissant de côté les qualificatifs et les insultes dont Israël est affublé dans ces écrits, se résument grosso modo à ceci : « Nous n’avons pas besoin qu’Israël nous dise que notre Sahara est marocain » ; « C’est un abandon de la cause palestinienne ».
Corrigeons d’abord une erreur : Israël ne nous dit évidemment pas que notre Sahara est marocain, il annonce publiquement qu’il « reconnait » notre souveraineté sur ce territoire.
La nuance est importante. Aux Nations Unies, c’est une voix de plus et tant que la question du Sahara est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale et du Comité des 24, toutes les voix comptent.
S’il fallait refuser l’appui des Etats dont quelques activistes ou formations politiques minoritaires n’approuvent pas la politique, nous serions bien seuls. Dans les relations internationales, ce qui compte, ce n’est pas la forme du faitout ni la tête du cuisiner mais le mets final.
Pragmatisme, réalisme ou cynisme, le débat n’a d’intérêt que pour les rêveurs. Au reste, si un pays se range à mes côtés, je n’ai pas à le juger. Si deux pays antagonistes me soutiennent, je n’ai pas à prendre parti dans leurs querelles. « Mon pays d’abord », voilà la devise qui guide mon attitude.
Quant aux Palestiniens, il faut distinguer entre leur cause et la relation avec Israël.
Le Maroc n’a jamais failli à son devoir de solidarité avec le peuple palestinien, malgré les sorties de route de quelques responsables de l’autorité palestinienne auxquels il n’y a pas lieu de tenir rigueur. Le drame palestinien est présent dans les préoccupations de la diplomatie marocaine, une diplomatie agissante qui ne se nourrit pas de slogans.
Même les rares Etats arabes qui, pour des raisons de politique intérieure, affectent des positions radicales et proclament leur soutien « indéfectible et inconditionnel » à la Palestine ont modéré leurs ardeurs. Ils approuvent la solution à deux Etats, reconnaissant par la même occasion implicitement cet Etat qu’ils continuent en dépit du bon sens à qualifier d’« entité ».
Face à ces pseudos champions de la cause palestinienne, l’action du Maroc, discrète et pragmatique, est plus efficace.
Israël prête l’oreille à ce que lui disent les Marocains. Et si Israël murmure à celle des Grands, tant mieux.