Le secteur de la construction était en difficulté bien avant le Covid-19. La crise sanitaire n’a fait qu’amplifier la situation. En atteste la baisse de la consommation du ciment qui est le seul indicateur inclusif de la construction et qui permet de mesurer la croissance du secteur du BTP.
D’ailleurs, après une progression importante enregistrée de 2000 à 2010, les ventes de ce matériau de construction ont doublé passant de 8 à 16 millions de tonnes. Cette consommation a baissé par la suite à moins de 14 millions de tonnes. Cela est attribué à plusieurs causes. Un souci quantitatif tout d’abord, dû à la baisse de production de logement notamment celui du social qui fut auparavant la locomotive du secteur. S’y ajoute une cause qualitative où les prix des prestations des nombreux opérateurs ont été dévalués. Une étude récente a explicité quelques chiffres.
Cette baisse a été malheureusement portée par cette logique de moins disant qui a fait fi de l’évaluation qualitative et a induit en définitif un nivellement de la qualité vers le bas.
De plus, les délais de paiement notamment dans les projets privés ont connu un rallongement conséquent et, d’ailleurs, les sociétés d’assurance-crédit ont réduit drastiquement les couvertures clients ce qui a encore plus compliqué les relations fournisseurs/clients en les rendant encore plus tendues.
D’un point de vue segment marché, l’avènement de la pandémie du Covid-19 a contribué encore davantage à prioriser le cadre de vie et des équipements proches dans la logique d’achat des ménages. Le long confinement partout dans le monde a modifié la demande en logement et en bureaux et nous vivons aujourd’hui encore cette transition vers plus d’intérêt pour un cadre de vie modulable en cadre de travail et si ce n’est pas privatif, au moins mutualisé. Également, l’espacement exigé a donné lieu à une demande de bureaux plus adaptés.
L’après-crise sanitaire peut-il être aussi une opportunité dans l’immobilier ?
Effectivement, cette crise permet aussi d’entrevoir des opportunités, j’en vois au moins 4 :
-La possibilité d’opérer et de travailler à distance pourrait dans le futur placer le Maroc comme un lieu de vie et donc de travail pour certains métiers, notamment les métiers d’offshoring, de conseil, de développement et de business digital ;
-Spécifiquement aux métiers de la construction, cette crise permet d’envisager le développement des métiers d’offfshoring liés au secteur (modeleurs BIM entre autres) ;
-Un investissement entamé dans la logistique et l’entreposage qui devra se renforcer car cette crise a aussi démontré l’importance des infrastructures et des sites de production et de stockage pour assurer la disponibilité des produits de consommation, notamment ;
-Le renchérissement des coûts de transport notamment maritime, permet un positionnement plus attrayant de l’offre locale en matériaux de construction, qui peut devenir encore plus attrayant localement et à l’export pour les marchés de proximité : africains et même européens.
Dans le contexte actuel, quelle analyse faites-vous de la maturation du secteur de la construction dans son ensemble ?
Vous faites bien de parler de secteur dans sa globalité car cela rend possible l’analyse de l’ensemble du secteur: l’immobilier, les infrastructures et les industries des matériaux de construction rassemble. Car tous sont interdépendants et représentent la grande famille de la construction. Nous avons les ressources humaines qu’il faut, nos ingénieurs sont structurés et nos architectes s’exportent même à l’international.
Nos ingénieurs géomètres topographes le sont également et bien évidemment des notaires qui accompagnent les promoteurs et les acquéreurs. Plusieurs formations des techniciens et conducteurs de travaux sont également disponibles notamment à travers l’OFPPT.
Nous disposons aussi de ressources compétentes sur les chantiers et bien évidemment d’entreprises leaders dans l’immobilier et le génie civil. Nous disposons d’industrie des matériaux de construction sur toute la chaîne de valeur : ciment, béton prêt à l’emploi, béton préfabriqué, marbres, mortiers, acier et armatures, revêtement peinture et céramique, menuiserie bois et aluminium, sanitaire, robinetterie et quincaillerie. Nous avons des financiers et des modes de financement pour assurer le montage des projets de tous types.
Dans ces conditions, quels sont les défis futurs ?
Le prochain challenge est d’articuler le cadre réglementaire, notamment les lois et décrets qui doivent être mis en oeuvre, tel le marquage Cم (à l’instar du Conseil exécutif européen) pour assurer un contrôle strict des matériaux notamment importés. Il en est de même pour la RTCM ou l’efficacité énergétique pour assurer la prise en considération des exigences de confort et d’environnement, la RCD (Responsabilité Civile décennale) pour conforter, dans leurs investissements, les acquéreurs et les exploitants pendant 10 ans.
Il y a aussi les Ventes en état futur d’achèvement (VEFA) pour réglementer le financement de l’immobilier par les acquéreurs et les OPCI pour fluidifier entre autres les transactions de location, et bien évidemment un code de construction pour mettre en musique l’ensemble des lois régissant la construction. Ainsi avec ces mesures, notre secteur pourra s’engager dans la transformation que va connaître le secteur au niveau mondial et national.
Qu’en est-il de la transformation numérique de la construction dans le monde et au Maroc aujourd’hui ? Et pourquoi est-elle nécessaire ?
Le fait est que ce secteur représente une des plus importante part des industries dans l'économie globale, contribuant ainsi à 13 % du PIB mondial *. Il intègre en outre plusieurs métiers comme la finance, l'assurance et le transport. Et si on prend l’exemple uniquement de l’immobilier, celui-ci, d’un côté, contribue à la transmission inter- générationnelle étant entendu que le bien immobilier est un patrimoine pour la future génération et d’un autre côté, contribue au ruissellement social et régional, du fait que ce secteur fait travailler différents profils et dans toutes les régions.
Néanmoins, la production dans ce secteur est resté longuement archaïque, et ce au niveau mondial. Les mêmes modes de construction perdurent dans une grande majorité des ouvrages comparativement aux autres secteurs. Comme par exemple celui de l'automobile où les options offertes évoluent bien plus vite que dans la construction.
En fait pour répondre à votre question, l'intégration des nouvelles technologies dans la construction reste encore timide pour le moment à part un usage limité dans la production des matériaux de construction, l'intermédiation immobilière et la gestion des territoires.
Néanmoins, les mêmes causes de disruption dans les autres secteurs, toucheront à terme la construction, à savoir l'IA, les Big-Datas et la connectivité à haut débit. Ceci modifiera à terme les processus de conception, de réalisations et d'exploitation des ouvrages.
De plus, l’urgence climatique oblige une efficacité énergétique et le secteur de la construction qui contribue fortement à la production du CO2, et ce allant jusqu'à 40 % dans certains pays développés doit se mettre au diapason de l'évolution technologique.
Enfin, dans le monde, les acteurs des autres industries ayant déjà entamé et réussi leurs transition sont attitrés par la valeur ajoutée importante du secteur ainsi à titre d'exemple IKEA, AMAZON et APPLE sont aujourd'hui présents dans le secteur notamment dans la mise en valeur du bien immobilier résidentiel et logistique ou dans le domotique (service intelligent du bâtiment).
Sur le plan local, au Maroc, des startups technologiques émergent en tant que pourvoyeurs de services tant au niveau commercial par l'attraction de clients par le biais du marketing digital, ou au niveau conception par l'offre de plateformes de services (bibliothèque d'objets, suivi du confort thermique, maintenance préventive, visite virtuelle…).
Pour aller plus vite encore, une politique de Top-Down (ou ce sont les grands donneurs d’ordre qui modifient la configuration du marché) doit être accompagné par celle Bottom Up (ou une préparation des prestataires est organisée pour répondre à la demande future des donneurs d’ordre) semblerait la meilleure approche.
Ainsi, par exemple, l'Eco-Cité Zenata a présenté dernièrement la deuxième promotion des startups qu’elle a initiées avec la CCG et MITC, proposant des usages au profit de ses partenaires locaux et ses clients opérant dans la promotion immobilière.
De même la numérisation des procédures au sein des agences urbaines permet d’intégrer cette transformation numérique dans le tissu économique du secteur.
Justement, quel peut être l’apport de l’Industrie 4.0 dans le développement de la Construction 4.0 ?
Un apport consistant, cette question sous-entend que la construction est dissociée de l’industrie, ce qui est le cas aujourd’hui, car chaque bâtiment est un projet à part et sa conception et production ne peut pas être « scalable ». Par contre, le futur du bâtiment sera industriel et déjà un pan entier du bâti est préfabriqué par nos industries des matériaux de construction.
Cela est rendu possible tout d’abord par l’avènement du Building information Modeling (BIM) qui nous vient d’ailleurs de l’industrie aéronautique ou il a été possible d’assembler un avion à partir de plusieurs composants provenant de différents usines. Par la possibilité de réussir l’interopérabilité des logiciels de conception, l’industrialisation est possible. Ainsi, nous pouvons aujourd’hui construire un bâtiment par l’intégration de produits dits objets, avec une précision graphique et géolocalisée parfaite.
Et cela nous amène à ce qu’on appelle l’industrie l’OffSite, où nous pouvons concevoir et préparer les composants d’un projet immobilier entièrement à l’extérieur du chantier (Off vs On site). L’exemple des bâtiments montés à Benslimane pour être re-assemblés dans la région de Londres en sont un parfait exemple premièrement et deuxièmement démontre la possibilité du Maroc de se positionner dans ce métier d’offshoring industriel à très forte valeur ajoutée.
D’ailleurs le marché est aussi au Sud, car les villes africaines dont doubler en volume dans les prochaines années et cela nécessitera une production immobilière et d’infrastructure soutenue. Déjà des commandes de modulaires arrivent à certains opérateurs marocains.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’avec le contexte actuel de réchauffement climatique, le bâtiment est considéré comme un des secteurs les plus producteurs de carbone, aussi bien lors de la production des constructions que lors de leur exploitation et enfin lors de leur mise en décharge. Ainsi une meilleure identification des caractéristiques des systèmes (ensemble de matériaux) et la possibilité de leur réaffectation est au centre des objectifs de l’économie circulaire.
Sur un autre plan, comment se présente aujourd’hui le Supply Chain 4.0 ?
- Le supply Chain permet d’affiner encore plus ce modèle avec des échanges entre tous les composants de l’écosystème en temps réel, un acquéreur qui souhaite une personnalisation, un client qui souhaite une livraison en optimisant l’intermédiation et le retour à vide, un producteur qui fournit un produit au bon moment en optimisant les stocks et des fabricants qui optimisent leur production. Il est à rappeler que le Supply Chain Inbound et Outbound du secteur est la seconde source de valeur ajoutée du transport au Maroc.
Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE / lopiniom.ma