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Par Farida Moha
L'IA est la déesse des transitions. C’est un puissant outil d'introspection et le voyage de notre civilisation vers la compréhension de l'esprit humain et la création de ses échos dans la machine computationnelle.
L'IA est une science qui subsume le numérique en déplaçant le curseur de l'automatisation à l'autonomie des systèmes. Cette IA protège le numérique (de nombreuses techniques de cyber sécurité ont recours à l’IA), révolutionne les interactions Homme Machine grâce aux Interfaces Intelligentes en immersion ; L’IA permet également la rencontre entre le monde réel et le monde virtuel grâce au concept des jumeaux numériques (digital twin en anglais)
L'IA augmente les capacités humaines grâce à l’interaction multimodale (voix, geste, émotions, etc.), elle peut prédire des comportements individuels et collectifs, expliquer des tendances, aider dans divers processus d'apprentissage.
Mais l'IA est également une technologie à double tranchant car elle peut être utilisée de façon Intrusive, elle peut être utilisée pour façonner les comportements, créer des addictions, développer des « coups de pouce » (nudges)... d’où la nécessité d'un cadre éthique et réglementaire couvrant l'ensemble du cycle de vie des systèmes d'IA : de la conception au déploiement et au démantèlement. Ce que de nombreuses instances internationales se proposent de faire. On peut rappeler que l’UNESCO a proposé le cadre normatif le plus complet et le plus consensuel ratifié par les 193 états membres en novembre 2021 (https://www.unesco.org/fr/artificial-intelligence/recommendation-ethics).
L’IA est donc une science ; c’est un « ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine ». Elle a vu le jour vers les années 1942 avec les premiers réseaux de neurones et a été formalisée en 1956 au « summer camp de Darmouth » en 1956 par 4 chercheurs américains comme étant la capacité d’une machine à reproduire des comportements humains : - Percevoir des informations riches, complexes et subtiles ;
- Apprendre en interaction avec l'environnement
- Faire abstraction pour créer de nouvelles significations et sens
- Raisonner pour décider et planifier
- Communiquer pour dialoguer
- Agir rationnellement
*Garry Kasparov : « L’intelligence artificielle nous rendra plus humains» - battu par une IA en 1997
*Jeu de go : une nouvelle victoire pour l'intelligence artificielle de Google - L'intelligence artificielle de Google AlphaGo a une nouvelle fois battu le champion du monde du jeu de Go, Ke Jie. Avec ses deux victoires, la machine semble asseoir sa domination sur l'homme.
L’IA s’est confinée dans les laboratoires plusieurs décennies durant. Ses rencontres avec le grand public ont régulièrement déchainé les passions comme lors de victoires spectaculaires aux jeux (d’échecs en 1997, de go 2017 ou encore du bridge (Nukkai – Paris 2022).
Le dôme de l’intelligence artificielle que vous dirigez a été récemment inaugure à l UMP6 Qu’ en est-il de l’IA au Maroc ?
L’IA est importante pour le Maroc (et pour tous les pays – en particulier les pays émergents) car elle permettra d’augmenter les capacités de façon significative et transverse dans les domaines de l’éducation, la santé, l’industrie, l’économie, les loisirs, la culture, ..et surtout, l’IA est un outil indispensable à toute souveraineté aujourd’hui : économique, sociale, politique, etc.
L’IA permet de percevoir le monde, de communiquer avec autrui, de prédire le futur immédiat ou lointain, de planifier pour atteindre un objectif donné ou un but intrinsèque, d’expliquer un phénomène rare ou une situation complexe, d’argumenter, de manifester des émotions et de l’empathie ; d’abstraire et d’apprendre, de s’adapter, de raisonner et de prendre des décisions autonomes même sous incertitude.
L’IA aujourd’hui est également capable de créativité (elle lit, elle peint, elle écrit et bien plus) même si elle ne peut pas encore être considérée comme « créatrice » et jouir de droits d’auteur (mais c’est juste une question de temps avant acquisition de personnalité juridique – le débat n’est pas tranché partout).
En attendant, des outils fleurissent dans le domaine de l’IA créative (« generative AI »). On peut citer le logiciel crayon (crayon.com) qui peut illustrer vos textes (Vous écrivez une phrase en anglais et l’outil vous propose des images adaptées) ou encore MidJourney qui vous propose de vrais tableaux dont vous êtes le créateur.
Lancé mi-2022, the Economist a eu recours à cette IA pour la réalisation d'une de ses couvertures en juin 2022.
On note un intérêt démesuré pour le ChatGPT qui passionne les jeunes et moins jeunes. Qu’en est-il de cet outil et de son utilisation ?
ChatGPT qui signifie « Generative Pretrained Transformer » est un prototype d'agent conversationnel utilisant l'intelligence artificielle, développé par OpenAI et spécialisé dans le dialogue.
L'agent conversationnel est un modèle de langage affiné par apprentissage supervisé et par apprentissage par renforcement.
ChatGPT est le début d’une grande disruption dans le domaine de l’interaction mais qui sera certainement utilisé beaucoup plus largement. En effet, LangChain, une nouvelle bibliothèque Python (Python est le langage de programmation le plus utilisé en apprentissage machine aujourd’hui) a été développé récemment pour connecter ChatGPT à des données externes, des sources de connaissances et des moteurs de calcul. L'objectif est de créer des applications au-delà d'un simple chatbot.
Ainsi, des agents intelligents « nouvelle génération » vont « répondre aux questions de leurs utilisateurs » et aller au-delà pour récupérer des informations, effectuer des calculs ou effectuer des tâches dans des bases de données ou sur le Web.
En 2023, il y aurait autant d’assistants vocaux que d’êtres humains, 8 milliards. Les analystes estiment le nombre d'objets connectés en 2020 à 80 milliards. À l'horizon 2025 ils seront 150 milliards d'après les analystes. Il faudra compter un chatbot par objet ! le calcul est vertigineux.
On assiste à une course de vitesse entre la Chine et les Etats Unis dans ces domaines qui sont déjà expérimentés en Afrique En quoi l’IA peut-elle aider à la transformation du continent africain?
En Afrique, l’IA peut constituer un véritable levier de développement économique et sociétal et une opportunité de « leapfrogging » pour positionner le continent sur les rails de l’évolution technologique.
Une vision continentale de l’IA est nécessaire pour répondre à des problématiques africaines qu’elles soient sociétales, environnementales, sanitaires et économiques (ex. changement climatique, développement humain, gestion de l’eau, etc.), en s’appuyant sur la formation, l’investissement et aussi la sensibilisation des générations futures.
Pour répondre au mieux aux besoins de l’Afrique, cette vision doit prendre en compte la croissance démographique rapide de l'Afrique, les opportunités qu’elle offre et les défis qu’elle soulève notamment en termes d’éducation, de formation et d’employabilité pour la jeunesse africaine.
L’IA peut apporter des solutions glocales c’est à dire globales et locales à la fois à l’Afrique qui soient alignées avec les objectifs du développement durable 2030 des Nations Unies et l’agenda 2063 de l'Union africaine intitulée "L'Afrique que nous voulons".
Quid d’une stratégie IA pour le Maroc et pour l’Afrique
Il est important aujourd’hui de mettre en place une stratégie nationale cohérente et ambitieuse qui organise l’adoption de l’IA à l’échelle nationale et lui assure la place de choix qui lui revient et permettre au Maroc, qui a de nombreux atouts aujourd’hui, de devenir un leader Africain en IA.
Toute stratégie de l'IA aujourd’hui passera nécessairement par un développement social, économique et réglementaire sans négliger la manière dont l'IA impacte(ra) la puissance géopolitique du pays et ses relations avec les autres pays. Il y va de la souveraineté du Maroc.
Une telle stratégie devrait promouvoir et favoriser la confiance du public dans les technologies de l’IA, soutenir la R&D et peser sur le développement de normes techniques internationales, former des talents et développer des compétences en IA pour innover et conduire des percées technologiques, protéger les intérêts, la sécurité et les valeurs du Maroc.
L’IA peut être utilisée dans de nombreux secteurs : les politiques publiques relatives aux transformations sociales et culturelles pour renforcer la solidarité, l’inclusion et le dialogue intergénérationnel ; les politiques et la stratégie nationale de développement comme vecteur d’émergence d’une économie intégrant la culture, les valeurs et divers savoir-faire marocains. Enfin, le triptyque IA, objets connectés et robotique permettrait la collecte des données utiles pour prédire, simuler et améliorer la sécurité, assurer le suivi écologique, gérer durablement les ressources naturelles et culturelles et appréhender des tâches difficiles.
L’IA dit on est un levier d’inclusion pour les femmes africaines. Encore faut il que ces femmes soient formées. Y va-t-il des programmes de formation?
Au niveau global, Il existe aujourd’hui de nombreuses initiatives et programmes qui adressent la question de la femme dans la tech et l’IA et cherchent à promouvoir le rôle de la femme scientifique et chercheuse dans la société, en l’encourageant à apporter des solutions pour répondre aux défis économiques, sociaux et environnementaux et sanitaires, notamment à travers l’application de l’IA.
Selon le Forum Economique Mondial en 2018, la proportion des femmes dans le numérique mondial, tous secteurs confondus, est inférieur à 25%. En Afrique, ces proportions sont revues à la baisse et entravent l’édification d’un continent plus inclusif, prospère et durable. En effet, même si les Femmes représentent plus de 50% de la population africaine, elles ne contribuent qu’à environ 33% du PIB du continent.
Convaincus du rôle de la Femme africaine dans l’accélération du numérique et du développement de l’Afrique, la Fondation OCP et Ai movement-UM6P proposent de mettre en place un programme qui participerait à la transformation technologique de l’Afrique par les Femmes.
Intitulé « Women in Tech and IA » ce programme a pour objectif de stimuler la participation de la femme africaine dans différents domaines liés aux secteurs de l’Intelligence Artificielle (IA). L’objectif global du programme est de contribuer au « développement des solutions technologiques basées sur l’IA portées par les femmes et adaptées aux réalités et défis de l’Afrique ».
A terme, le programme vise à promouvoir les talents des femmes africaines dans l’IA pour stimuler la création et le développement de nouvelles technologies, ainsi que des startups permettant d’améliorer les systèmes agricoles et alimentaires, éducatifs et sociaux et de s'attaquer aux défis sanitaires, climatiques et environnementaux urgents du continent africain.