Que pensez-vous du débat actuel sur l’article 490 du Code pénal qui sanctionne les relations sexuelles hors mariage ?
Il faut avoir à l’esprit un principe essentiel du droit pénal, sans lequel il n’y a pas d’Etat de droit, celui de l’interprétation stricte de la loi pénale. L’article 493 du Code pénal précise qu’il existe exclusivement trois modes de preuve pour établir le délit de relations sexuelles hors mariage : le procès-verbal de constat de flagrant délit par un officier de police judiciaire, l’aveu du prévenu et l’aveu judiciaire. Ce texte doit être interprété strictement. Par exemple, je ne vois pas comment, en pratique, il peut exister légalement un procès-verbal de constat de flagrance dans un domicile ou dans une chambre d’hôtel lorsque l’on connaît la protection constitutionnelle du domicile (article 24 de la Constitution : « Le domicile est inviolable ») et les strictes conditions posées par le Code de procédure pénale pour effectuer des visites domiciliaires. Surtout, l’élément matériel du délit est la relation sexuelle. La flagrance n’étant pas le simple soupçon, il est donc assez improbable qu’un officier de police judiciaire puisse légalement constater dans un domicile une relation sexuelle réelle qui se déroule sous ses yeux.
Dans certaines affaires, la preuve du délit est rapportée par une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Que valent de telles preuves?
Elles devraient être irrecevables au regard du principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Qu’indique précisément l’article 493 du Code pénal ? Il vise « l’aveu relaté dans des lettres ou documents émanés du prévenu ». Pour qu’une telle vidéo puisse être opposable au prévenu, il faut donc nécessairement qu’elle émane de lui, c’est-à-dire de son téléphone ou de son appareil. Tel n’est pas le cas d’une vidéo de « revenge porn » réalisée et diffusée à l’insu de l’un des protagonistes et qui n’en a même pas connaissance. La vidéo n’émane pas de cette personne et ne devrait donc pas pouvoir lui être opposée, selon le principe d’interprétation stricte de la loi pénale.
Qu’en est-il de la constitutionnalité de l’article 490 du Code pénal ?
Elle est très douteuse au regard de l’article 24 de la Constitution qui affirme que « toute personne a droit à la protection de sa vie privée ». Or, il me semble que, sur le plan du droit, la sexualité – du moins celle entre adultes consentants - relève incontestablement de la vie privée. Telle est d’ailleurs la jurisprudence constante de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, du Tribunal constitutionnel allemand ou de la Cour de cassation française. Il appartiendra aux avocats de s’emparer de cette question lorsque l’exception d’inconstitutionnalité sera effective en droit marocain.
Et de sa conformité aux conventions internationales ?
- La contrariété de l’article 490 au droit international ne fait, selon moi, pas de doute. Le droit au respect de la vie privée est protégé par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. S’agissant d’une convention internationale, ce Pacte a une valeur supérieure aux lois et devrait donc conduire les magistrats à écarter l’application de l’article 490 du Code pénal. Le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a d’ailleurs épinglé le Maroc le 16 décembre 2016 et le pressait de « remettre en liberté quiconque se trouve en détention uniquement au motif de relations sexuelles librement et mutuellement consenties ».
Que répondez-vous à ceux qui affirment, sondage à l’appui, que la société marocaine n’est pas prête à l’abrogation de l’article 490 du Code pénal ?
Répondre à cette question dépasse de loin mes compétences et relève de la sociologie. On peut toutefois observer que les sondages ont leurs limites surtout lorsqu’ils manquent de rigueur méthodologique, comme l’a récemment dénoncé Mehdi Alioua, Professeur à Science Po Rabat. Par ailleurs, constatant les drames humains que peut entraîner l’application de l’article 490, tant le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) que le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) – qui sont des institutions constitutionnelles – ont expressément appelé à la suppression de ce délit. Enfin, j’observe que l’Indonésie, qui a la plus importante population musulmane au Monde, ne sanctionne pas les relations sexuelles hors mariage et cela malgré les récentes pressions des milieux conservateurs. Je ne sais pas si la société marocaine est prête à son abrogation mais, sur le plan strictement juridique, le maintien de l’article 490 et l’utilisation qui en est faite sont très difficilement justifiables aujourd’hui.