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Par Aziz Boucetta
Si la constitution ne dit rien d’explicite quant à l’exclusivité royale en matière de politique extérieure, l’esprit et l’usage du texte constitutionnel portent néanmoins dans ce sens. En outre, une constitution vit, s’affirme et s’affine également avec les interprétations que l’on en fait, et ledit communiqué du cabinet royal en forme une que nul n’a certes jamais contestée, mais qui aujourd’hui est désormais attestée.
Politique étrangère, diplomatie et relations extérieures demeurent cependant différentes et distinctes. La politique étrangère est l’action publique qui forme et constitue l’instrument par lequel un État œuvre à façonner son environnement politique international ; la diplomatie est l’outil au service de la politique étrangère et les relations internationales sont considérées comme la somme des actions diplomatiques, en plus des nouveaux enjeux transnationaux ou supranationaux.
La diplomatie et la politique étrangère doivent donc être distinguées l’une de l’autre ; elles sont complémentaires car la seconde ne peut exister sans l’action de la première pour l’exposer, de même que la diplomatie a besoin d’être guidée par une politique étrangère lisible.
Au Maroc, la politique étrangère, et les relations internationales du royaume, sont donc d’une exclusivité de fait mais acceptée du chef de l’Etat. Et la diplomatie est conduite par le ministère des Affaires étrangères, administration centrale qui met en œuvre la politique extérieure. Il existe d’autres formes de diplomatie (parlementaire, économique, religieuse, culturelle, cultuelle, sécuritaire, …), mais elles sont placées sous la supervision de celle du département des Affaires étrangères.
Dans le monde actuel, les politiques étrangères des différentes nations doivent affronter des tendances lourdes (rivalité sino-occidentale et rétrécissement des marges de manœuvre des Etats), des mutations rapides (alliances conjoncturelles et structurelles fluctuantes en fonction des évolutions contextuelles) et l’apparition de nouveaux enjeux (climat, terrorisme, migrations, ressources hydriques, …).
La lisibilité de cette complexité revient donc aux chefs d’Etat, entre autres du fait de la transversalité des paramètres et de leur position centrale dans leurs appareils publics. Mais la mise en œuvre de la politique étrangère revient à la diplomatie, elle-même placée sous l’autorité du ministre des Affaires étrangères, lequel ne peut en exclure les autres acteurs et facteurs.
Pour le Maroc, la complexité tient en grande partie à ses nouvelles ambitions de puissance géopolitique régionale, de son objectif de s’installer en puissance régionale et, bien évidemment, de sa position géographique à la confluence d’espaces stratégiques (Afrique, Europe, euroméditerranéen, atlantique). Cela crée des conflits, voire des heurts avec le... voisinage immédiat qui a également ses ambitions, et avec l’environnement régional et l’affirmation des intérêts de certains puissances dans cette zone géostratégique d’importance (France, Espagne, Chine, Russie et Etats-Unis).
D’où, pour fonder puis consolider la politique étrangère et l’action diplomatique, l’impérieuse nécessité d’un soutien intérieur, lequel passe par l’adhésion de l’opinion publique et l’implication des partis politiques, définis comme œuvrant « à l'encadrement et à la formation politique des citoyennes et citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques. Ils concourent à l'expression de la volonté des électeurs et participent à l'exercice du pouvoir » (constitution, art. 7). Opinion et partis participent du nécessaire soft power marocain, le royaume étant encore bien fragile économiquement pour peser significativement à l’échelle mondiale par son seul – et faible – hard power.
Le rôle de la classe politique et de la société civile dans la consolidation de notre politique étrangère et le renforcement de notre diplomatie est crucial.
Quand, en 2015, la Suède avait envisagé de reconnaître la RASD, les partis politiques avaient entrepris des actions directes dans ce pays, avec un certain succès. Lorsque, en 2016, Hamid Chabat avait appelé à la récupération du Sahara oriental – avec son fameux dérapage sur la Mauritanie –, il avait été virilement recadré par le ministère des Affaires étrangères, qui avait également violemment désavoué en 2019 pour ses propos sur l’Algérie Salaheddine Mezouar, ancien ministre… des Affaires étrangères.
Or, le Maroc se trouve aujourd’hui dans l’exacte ligne des propos d’hier de MM. Chabat et Mezouar.
Depuis quelques semaines, la lecture géopolitique mondiale se complique. Le rapprochement sino-russe interpelle le monde, et la reprise des relations entre Téhéran et Riyad appelle à davantage de finesse dans la compréhension de cette décision. L’Algérie est sur le pied de guerre et la position de la France demeure trouble et erratique.
Le positionnement équilibré – équilibriste ? – du Maroc sur la scène proche-orientale est périlleux et nos alliés, comme les Etats-Unis, soufflent le chaud (visites récurrentes et mutuelles de hauts responsables), et le froid (le rapport rude et excessif du Département d’Etat).
Pour ces raisons, le soutien de l’opinion publique nationale est nécessaire, et acquis. L’adhésion des partis politiques (du moins ceux qui osent s’exprimer et ont quelque chose à dire) est souhaitable, et doit être consolidé, et l’appareil d’Etat serait renforcé en acceptant, voire même en sollicitant, leurs critiques étayées et argumentées.
Dans le monde perturbé, troublé et volatil qui est le nôtre, le Maroc a une cause à défendre et dispose des moyens pour cela : la stabilité politique, la position géographique, l’estime des Etats et des institutions internationales, l’unanimité nationale autour de la politique étrangère. Il reste juste à laisser cette unanimité s’exprimer, dans le cadre d’ « une conception et une cohérence centralisées, d’une exécution et d’une initiative décentralisées » (général Vincent Desportes).
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost