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Casablanca : Un déni de justice en marche ?


Voilà une affaire en instance à Casablanca qui donne toute sa pertinence et sa dimension à une recommandation du rapport de la Commission dédiée au Nouveau Modèle de Développement. Ce document conclut en effet que "La réforme de la justice doit être parachevée dans sa totalité (…), améliorer sa performance, atténuer sa lenteur et lutter à tous les niveaux du système contre la corruption, source d'abus et d'insécurité pour les citoyens".



PAR MUSTAPHA SEHIMI

Casablanca : Un déni de justice en marche ?
break_time500mscasablanc1625285980.mp3 A lire ou à écouter en podcast :  (1.7 Mo)

Comment ne pas adhérer à une telle orientation ? Mais il y a les faits, et plus précisément encore, la pratique judiciaire, telle qu'en elle-même, qui ne peut que nourrir plutôt une disposition passablement dubitative. 
 

DYSFONCTIONNEMENTS


Une affaire en cours devant les juridictions casablancaises - tribunal de première instance et cour d'appel - traduit bien des dysfonctionnements s'apparentant à une variante d'un déni de justice en marche. Un cas d'école utile peut-être aux élèves de l'Institut national de la magistrature de Rabat pour les sensibiliser et les mettre en garde surtout contre la déviance du fonctionnement de la justice. 

Le rappel des faits aide à en comprendre tous les tenants et les aboutissants. En septembre 2019, un opérateur J.K signe un bail avec un certain A.Y., gérant de la société DAKNYLI. Ce bail commercial concerne un restaurant loué à la société China Food qui l'exploite sous l'enseigne Soho. J.K. a payé 5 millions de DH à l'ancien locataire ; il réalise divers équipements et aménagements. Le 5 septembre 2020, ce nouveau preneur crée une nouvelle société Jaayir Lounge, et ce avec l'accord formel du bailleur. Ce contrat a été signé, légalisé et enregistré. Le paiement est effectué avec un reçu de la caution ; et les loyers sont payés à compter du 1er octobre 2019, sur la base mensuelle de 140.000 DH. 
 

Des équipements complémentaires sont alors apportés au local, compte tenu du projet professionnel du preneur ; il faut ajouter d'autres investissements (climatisation, système incendie, cuisines, chambre froide,...). Un budget de l'ordre de 2,5 millions de DH est ainsi mobilisé. Un dossier est ensuite déposé, avec l'accord du propriétaire, au CRI de Casablanca. Ce Centre, après étude et transport sur les lieux, refuse d'autoriser cette activité commerciale compte tenu de plusieurs infractions au plan ne varietur, tel que validé par l'Agence urbaine de Casablanca, en avril 2015.
 

Manœuvre grossière


Le preneur veut en avoir le cœur net ; il décide alors de diligenter une expertise confiée à un expert assermenté près des tribunaux, M. SBAI Karim, Président de l'Ordre régional des architectes. Il confirme bien que ce local (T.F. N2 C/36405) n'est autorisé que pour un seul et unique restaurant. Or, le propriétaire a démembré – sans aucune autorisation administrative - ce même local en trois lieux : un magasin Diesel, un restaurant avec l'enseigne Love et le restaurant du nouveau preneur sous l'enseigne Mozaik. 
 

Le propriétaire, malgré plusieurs mises en demeure, refuse de faire les modifications ordonnées par les autorités. Mieux : il poursuit la société Jaayir de J.K. devant le tribunal de commerce de Casablanca pour… loyers impayés et pour expulsion ! Une manœuvre grossière : les loyers incriminés (avril - juillet 2020) ont été dument versés et consignés à la Caisse des loyers dédiée à cet effet. La demande d'expulsion est rejetée en première instance puis à la cour d'appel. En même temps, J.K. a obtenu de la justice, sur la base de la nouvelle situation créée par le refus du CRI, une décision de remboursement des loyers déjà acquittés. 
 

L'autorité administrative de tutelle, en la personne du Gouverneur de la préfecture d'Anfa est également saisie. Elle confirme au bailleur et au preneur ceci : aucune exploitation du commerce de restauration ne pourra se faire si le plan n'est pas modifié selon les exigences du CRI. 
 

Mais propriétaire n'entend pas le faire ; il saisit le 16 juin le Président du tribunal de commerce lequel rend un jugement d'expulsion contre la société Tivoli Parc sur la base d'un bail provisoire… signé le 5 septembre 2019 ! Ce bail était, il faut le souligner, bien provisoire. Il a été remplacé le même jour par un nouveau bail. Le preneur est contractant en l'espèce non plus au nom de la société Tivoli Parc mais de Jaayir Lounge. Le bailleur est le même dans deux contrats (A.Y.), le preneur aussi (J.K.) mais au nom de la nouvelle société précitée. 
 

Le « hic »…


Cherchez le hic ! C'est le même président du tribunal de commerce qui avait jugé et refusé l'expulsion du locataire Jaayir qui accorde cette fois l'expulsion de J.K. du même local sur la base d'un bail en date du 5 septembre 2019 annulé de fait et subrogé le même jour par J.K. au nom de sa nouvelle société Jaayir Lounge. 
 

Mais il y a plus dans ce registre des dysfonctionnements pour ne pas parler d'incohérences nourrissant toutes les interrogations. C'est en effet ce même juge qui était informé du pourvoi interjeté contre l'expulsion arbitraire de la société Tivoli Parc qui décide cette fois ... l'expulsion contre la société Jaayir Lounge! Des vices de procédure entachent, par ailleurs, cette mesure : aucune notification dans 1e local loué où était juridiquement l'élection de domicile ni à l'adresse personnelle du preneur - celle-ci était pourtant expressément mentionnée dans le premier bail signé avec Tivoli Parc. Une manière douteuse de faire constater un défaut du locataire (J.K.) et d'évacuer les procédures d’opposition prévues par la loi. Or, le même bailleur a notifié le jugement d'expulsion de Tivoli Parc - contractante dans le premier bail du 5 septembre 2019 à l’adresse du restaurant Mozaik exploité par la société Jaayir Lounge. 
 

Lenteurs… et célérité


Le locataire a alors engagé une procédure en appel contre ce jugement d'expulsion en date du 16 juin 2021. Une première audience a eu lieu ce même jour, puis une seconde le lendemain même. Puis plus rien ... comme si bien des lenteurs devaient conforter cette procédure. Or, en l'espèce, force est de relever l'extrême célérité qui a marqué le jugement d'expulsion. Un confrère avocat, blanchi sous le harnais, informé et qui était présent dans la salle d'audience s'est, exclamé, avec colère : " En quarante-cinq ans de barreau, je n'ai jamais vu ça ! 
 

Aspect pénal et civil


Un aspect pénal n’est pas non plus à écarter quand une bonne administration de la justice est assurée. Ainsi, le propriétaire a signé le même jour - le 5 septembre 2019 - deux baux pour le même local à un preneur unique. Ainsi encore, comment le tribunal a-t-il bien pu valider une mesure d'expulsion contre une société Tivoli Parc alors qu'elle a été subrogée par la société Jaayir Lounge ? Et pourquoi cette juridiction n'a pas encore donné suite aux recours actuels de J.K... comme si elle jouait la montre"... Le préjudice civil n'est pas moins considérable : affichage du jugement d'expulsion, occupation du restaurant, des serrures fracturées. Des dommages -intérêts sont en cours d'évaluation par la défense.
 

Dans le monde des affaires de Casablanca, ce dossier est suivi et évoqué avec préoccupation. Il témoigne du chemin à faire encore pour un environnement réglementaire et institutionnel normalisé, si possible attractif. Et à cet égard, la justice est au premier rang des réformes et des problématiques de l’heure et du Nouveau Modèle de Développement. 


PAR MUSTAPHA SEHIMI
Source : https://quid.ma/




Jeudi 1 Juillet 2021


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