Par Souad Mekkaoui
Pourtant Sa Majesté le Roi Mohammed VI a, plusieurs fois, sonné les cloches aux politiques, allant même jusqu’à dire qu’il n’a plus confiance en eux. Le Souverain ne cesse de parler d’autocritique et d’appeler au renouvellement des élites politiques dans ses discours sauf que cela tombe toujours dans les oreilles de sourds tellement ils résistent au changement qu’ils appréhendent assurément. Le ras-le-bol du Roi épouse donc celui des populations qui ont perdu toute confiance en les partis politiques et les élus qui, au lieu de servir leurs concitoyens, ne pensent qu’à leurs intérêts personnels avant tout. Faut-il rappeler qu’Il a fustigé les partis qui « s’attribuent les bénéfices politiques et médiatiques dès qu’un bilan s’avère positif », mais « se retranchent derrière le Palais Royal » en cas d’échec, ceux qui donnent une image désolante du Maroc en empêtrant voire en bloquant la réalisation de projets, ce qui pénalise le développement du pays ?
Or Si la pandémie du coronavirus a désormais bon dos pour les années à venir, cela ne perturbera pas, bien entendu, l’agenda politique national et 2021 sera l’année de toutes les élections par excellence. De facto, la campagne électorale de cette année ne ressemble à aucune autre, elle survient dans un contexte politique et sanitaire particulier. En effet, l’année s’annonce foncièrement électorale puisque les élections locales, professionnelles, régionales et législatives auront lieu en même temps. De surcroît, les effets de la pandémie de la Covid-19 qui pèsent lourdement sur l’économie et le climat social général compliquent davantage les choses.
Capharnaüm politique
Dans ce contexte où les partis politiques devraient se serrer les coudes pour faire face à la crise sanitaire dans un élan national, ils ont, comme à leur habitude, déserté les lieux et ce n’est qu’une fois l’air des élections commence à se faire sentir et que le compte à rebours est déclenché, qu’ils quittent, en force, leurs tanières. Il faut dire que les élections sont attendues impatiemment par les politiques, mais pas par les citoyens qui ont perdu toute confiance et toute espérance. Et c’est désormais une vraie fourmilière au sein des partis politiques qui s’apprêtent à entamer leur course aux sièges. Bien entendu, les temps sont aux attaques aiguisées et aux ripostes acerbes et les chefs des partis jouent des coudes pour prendre la balle à la volée. Au lieu qu’ils se penchent sur les vrais problèmes des Marocains livrés à eux-mêmes voire abandonnés au large du tintamarre d’une politique politicienne, comme dirait l’autre, c’est à qui mieux mieux, dans leurs querelles byzantines, et ce n’est jamais de bonne guerre.
À quelques mois donc des élections, la scène politique se convertit en cirque : le torchon brûle entre le Parti de la justice et du développement (PJD) et l’Union socialiste des forces populaires (USFP), pourtant tous deux membres de la coalition gouvernementale. Le Secrétaire général du PJD (Parti de la Justice et du Développement), Saad Eddine El Othmani, s’en est pris violemment au premier Secrétaire du parti de la Rose, Driss Lachgar, lui demandant de cesser ses attaques « personnelles » et « répétées » contre les islamistes et de commencer par « balayer devant sa porte ».
De son côté, Abdellatif Ouahbi, SG du PAM (Parti Authenticité et Modernité), dément une quelconque crise interne au sein de son parti. Pourtant certains membres le pointent du doigt dans leur « Appel de la sagesse » à travers lequel ils dénoncent le mal endémique qui ronge le PAM à cause de la mauvaise gestion et des violations récurrentes des règlements et critiquent la gestion de la direction qui a provoqué la démission de militants. Comme pour détourner les regards, il met dans son viseur Aziz Akhannouch du RNI (Rassemblement National des Indépendants) qu’il accuse d’utiliser les actions humanitaires de sa Fondation Joud à des fins partisanes et électoralistes. Pour toute réponse, Akhannouch lance à la face de ceux qui font bloc contre lui : « Nous semons du labeur et du travail, vous semez des paroles et du vent. Au lieu de nous casser aujourd’hui, faites de même et activez-vous au service de votre société ». Et c’est au tour du PPS (Parti du Progrès et du Socialisme) qui se range toujours du côté « fort » de rejoindre la danse suivi par l’Istiqlal pour dénoncer les actions caritatives de Joud.
«Si vous voulez remporter les élections et que les Marocains vous fassent confiance, vous devez le mériter avec le militantisme, des positions de principe, des programmes et non pas avec l’argent», dira le Secrétaire général du PPS, Nabil Benabdellah. La messe est dite et tout le monde s’improvise moralisateur. Comme si tous les partis politiques ou presque ne se servaient pas de la détresse des classes démunies pour avoir plus de voix !
Dès lors, les boulets rouges sont tirés dans tous les sens et les boucliers sont levés. Ouahbi va même loin et demande au RNI de rendre « les 17 milliards à l’État ». Faut-il rappeler que c’est la somme que les pétroliers auraient gagné depuis la libéralisation des prix des carburants ? Une voix du parti de la Colombe s’élève pour mettre Ouahbi face à ses défaillances lui rappelant qu’il n’a pu élire ni le bureau politique de son Parti ni son Conseil national d’autant plus que ses élus qui ne trouvent plus d’écoute, quittent le navire pour rejoindre un autre parti.
Et le populisme bat son plein. C’est ce à quoi ressemble le débat politique, à quelques mois de la date fatidique des élections…
Débat politique dites-vous ?
À la veille du scrutin, la classe politique est sur le qui-vive. Toutes les formations politiques ont d’ores et déjà les yeux rivés sur ces prochaines échéances électorales qui représentent pour les femmes et les hommes politiques l’accomplissement d’une carrière. Mais la vraie question est de savoir qui, parmi eux, sera en mesure, demain, de porter le Maroc dont on rêve, le Maroc qu’on voudrait léguer à nos enfants. Et … nostalgie quand tu nous tiens ! Il est révolu le temps où les voix des partis politiques résonnaient au Maroc. Il est bien loin le temps où ces partis politiques portaient et défendaient des idéaux, des convictions et des valeurs. Il est bien derrière nous le temps où les leaders (au vrai sens du terme) étaient de vrais mobilisateurs et unificateurs autour de grandes idées qui ont permis la construction d’un Maroc pluriel. Des chefs de partis qui savaient gérer, dans la divergence et le partage, sans éclatements ni heurts.
Aujourd’hui, à notre grand malheur, les partis politiques nous présentent des opportunistes (Heureusement qu’il existe des exceptions) qui rivalisent d’acrobaties, changeant de peau et d’accoutrement qu’ils approprient au parti qui leur accordera la fameuse accréditation. Les candidats migrent de parti en parti confirmant ainsi le tribalisme dans l’esprit et le refus de la divergence des points de vue des partisans, dans la même constitution où elle est supposée représenter le creuset d’un débat sain et où la concurrence positive et la méritocratie sont les éléments tranchants pour accorder le soutien à un candidat X. Mieux encore, des partis politiques passent de l’opposition à la majorité gouvernementale sans qu’on ne puisse assimiler le changement.
On ne sait plus qui est de droite, qui est de gauche ou qui mène la danse.
Pourtant la loi, à tout le moins, l’éthique interdit la transhumance qui est l’ équivalent de l’opportunisme, donc la caution à la médiocrité. Et les intérêts créent les coalitions les plus extravagantes qui ne répondent à aucune logique et des jeux politiques qui ne respectent aucune éthique.
Ceci dit, comment se fier à ces partis politiques, en refondation – quand ils ne sont pas en décomposition- ou s’effritent pour des dysfonctionnements ou des différends qui n’en finissent pas au sein de leur « entité » ? Comment peut-on s’attendre à une éventuelle harmonie alors que lorsque l’un d’eux dit « cornu » l’autre dit « fourchu » ? Comment faire confiance alors que chaque parti œuvre pour soi, brandissant son fer de lance à la figure des autres, se souciant peu des attentes des Marocains ? Aujourd’hui, le monde politique est devenu une jungle où les rapaces s’arrachent le gibier. Le cynisme est devenu l’arme politique d’une minorité qui décide du sort de tout un peuple. Toutes ces dissensions d’égo et ces guerres partisanes, au sein de cette coalition de circonstance et d’enjeux, ont fini par dégoûter les citoyens qui ne voient plus en l’échéance électorale qu’une mascarade et un jeu hypocrite de la part des élus. Aujourd’hui, les partis politiques sont émiettés et le puzzle, fortement décomposé, est difficile à reconstruire n’ayant pas de modèle bien conçu. L’équation électorale, quant à elle, est loin d’être rassurante dans la conjoncture actuelle, chamboulée par la crise sanitaire qui rend opaque toute visibilité possible.
Aussi le grand enjeu des élections de 2021 sera-t-il le taux de participation qui menace d’être trop faible.
Pas besoin de casting, on reprend les mêmes
Il est désolant de dire que les partis ne mobilisent plus et leurs programmes – quand ils en ont- se ressemblent. Le jeu politique est biaisé par une machine défectueuse qui ne profite qu’à ceux qui se servent sans servir le citoyen. Or comment espérer un changement quand des chefs de partis s’agrippent au gouvernail pendant des dizaines d’années se servant de leurs postes sans servir le pays ? L’échiquier politique national ne respecte plus les règles du jeu qui donnaient du sens à la politique et aux positions partisanes.
Et il s’impose de rappeler que dans son discours à l’occasion de la Fête du Trône le 30 juillet 2016, Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait dit : « J’invite aussi les partis politiques à présenter des candidats remplissant les conditions de compétence et d’intégrité, et animés par le sens des responsabilités et le souci de servir le citoyen. », et d’ajouter : « Là, Je dis à tout le monde, majorité et opposition : Assez de surenchère patriotique dans des règlements de compte personnels ou la quête d’intérêts partisans étriqués ! ».
Toutefois, les habitués du pouvoir freinent des quatre fers et refusent de rompre avec le passé en présentant la candidature des mêmes figures et des mêmes élites, notamment celles dont les cartes sont déjà brûlées, à quelques exceptions près, ce qui pousse beaucoup de personnes à ne voir aucun intérêt dans un vaste débat public. D’ailleurs, plusieurs fois, surtout pendant ces deux derniers mandats, les Marocains ont pu se rendre compte, à leurs frais, que notre grand problème est le mauvais casting. Plusieurs ministres se sont vu confier des portefeuilles et des missions « impossibles » pour leurs calibres. Pour sauver la face, on les fait sortir par la fenêtre pour les accueillir sur la porte d’un autre ministère sur lequel ils trônent médiocrement. C’est dire que ceux qui décident du sort des citoyens ne sont pas forcément aptes à gérer les affaires du pays. Pourquoi ne pas exiger de nos ministres des comptes ? Pourquoi ne pas soumettre leurs mandats à des évaluations afin de faire connaître les points forts mais aussi les manquements ?
Les partis politiques gagneraient, certainement, à recruter de grands managers publics, loin de leur appartenance politique, des compromis des couloirs et des arrangements entre amis.
Rappelons que le discours du 18e anniversaire de l’intronisation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI est un discours de vérité qui constitue une première dans l’Histoire du Maroc voire dans le monde arabe où jamais un chef d’État ne s’est hasardé à croquer, devant le monde entier, un tableau aussi désastreux de son pays et une mise en demeure aux politiques. Le Roi Mohammed VI, lui, a osé le faire.
Aujourd’hui, Le Royaume a besoin d’un Exécutif capable de relancer l’économie et de réussir le post-Covid et, en parallèle, surmonter une série de défis locaux, sociaux, économiques et d’autres extérieurs notamment le dossier du Sahara marocain. Un gouvernement qui puisse prendre acte des nouvelles urgences nationales, régionales et internationales.
Le Maroc a besoin, en cette phase critique, de partis politiques qui forment un bloc pour présenter des candidats à la hauteur du moment et des défis, porteurs d’un projet de société et d’une vision stratégique pour épargner aux Marocains les mêmes scénarios vécus à redondance et surtout capables de porter un nouveau modèle de développement.
Peut-on alors reprocher aux citoyens cette suspicion qui conduit rapidement au discours du « tous pourris » ?
Source : https://maroc-diplomatique.net/