Par Naïm Kamal
L’on se demande alors si le chef du parti qui a incarné dès l’aube de l’indépendance la cause de l’amazighité non seulement signait, mais persistait dans une certaine « radicalité » sur la question que son mentor et fondateur du MP, Mahjoubi Ahardane, avait fait sienne jusqu’à ce que – centenaire - mort s’en suive en 2020.
Ce serait lui faire un mauvais procès, Mohand Laenser ne s’étant jamais fait remarquer sur ce registre de prédilection pour sa formation politique par des positions tranchées. Au Forum, il va confirmer cette pondération, considérant que le combat a changé de nature. L’amazigh, reconnu par la constitution langue officielle, ne requiert désormais de son point de vue qu’une démarche de mise en œuvre à laquelle s’attellent aussi bien des organismes officiels que des acteurs du tissu associatif. Nombre d’activistes de cette cause sont persuadés qu‘il faut agir de l’intérieur des institutions.
Tu quoque mi fili*
Mohand Laenser porte bien les 80 ans qu’il aborde et qu’on ne lui donnerait pas. Mais cette fois-ci, sa volonté rejoignant les statuts du parti, il passera la main. Promis, juré ! Qui lui succédera ? On verra le moment venu, mais il ne faut pas trop compter sur lui pour aller couler une douce retraite à Imouzzer Marmoucha où il a vu le jour, officiellement en 1942 à une époque où les dates de naissance étaient toutes approximatives. Il ne quittera pas cette formation qui l’a vu pratiquement naitre à la politique, grandir et en devenir l’icône quasiment au même titre que Mahjoubi Ahardane aux cotés duquel il a joué sans états d’âme les Brutus.
Mais s’il a grandement contribué à déposer en 1986 ce père altier et réfractaire, voué aux gémonies par son ancien allié du FDIC*, un Ahmed Réda Guédira au faîte de sa gloire de conseiller auprès du défunt Roi Hassan II, il ne l’a pas tué. Même que l’on raconte qu’Ahardane, acculé, a béni la prise en main du MP par ce jeune disciple qui lui avait déjà succédé en 1981 à la tête du ministère des Postes et télécommunications. Plutôt lui qu’un autre, aurait-il dit en substance.
En écoutant celui qui est encore, pour quelques mois en principe, secrétaire général du MP, égrener au fil des questions ses idées, on ne se demande pas quand il a été ministre, mais quand il ne l’a pas été. Onze ans ministre des PT, cinq ans à l’Agriculture, deux ans et demi ministre d’Etat, près de deux ans à l’Intérieur, presque autant à l’urbanisme et l’Aménagement du territoire national sans compter un bref passage par la Jeunesse et Sports. Et depuis 2015 président du Conseil régional de Fès-Meknès, incompatible avec un poste de ministre, mais équivalent en honneur et en dignité.
Cinq dirhams…
Le programme du Mouvement Populaire pour les très prochaines élections est fin prêt mais il en garde la primeur pour les membres du Bureau politique. N’allez pas en déduire que ceux-ci ont été écartés de son élaboration, juste que sa confection a été laissée à une commission. En aparté, un cacique laisse tomber sur un ton complice : « vous le savez, nous sommes un parti de l’Etat ». Sans doute et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui qu’il y a le nouveau modèle de développement.
C’est donc sur le plan politique que Mohand Laenser va gambader pendant une heure pour parler, en les minorant, des divergences au sein de son parti. Expliquer que la désaffection des jeunes est un désintérêt pour les partis et non pour la chose politique. Que l'adoption du quota pour renforcer la représentativité des jeunes au Parlement est une erreur appelant une révision du système électoral actuel de sorte à consacrer exclusivement certaines circonscriptions à cette catégorie. Que c’est une erreur aussi pour les partis partageant les mêmes visions, de ne travailler ensemble et de n'évoquer les alliances qu'à l'issue des résultats des élections.
Mais c’est surtout la situation du monde rural qui lui tient à cœur. Rien de bien extraordinaire et quoi de plus normal pour le chef de file d’un parti qui, dès sa création, a fait de la campagne par opposition à l’urbain, de la montagne contre les plaines et leurs citadins - notamment les fassis concèdera-t-il, le crédo et sa raison d’être qui se perd de plus en plus sous le coup des mutations sociales et sociétales ? Il n’empêche ! Le développement rural ne se réduit pas à la construction d'une école ici, d’une maison de jeunesse là, ou – un peu plus loin - d’un dispensaire qui restera désespérément vide. C’est un chantier intégré qui nécessite une coordination entre tous les acteurs. Et quels qu’en aient été les efforts du MP depuis sa création, si efforts il y eut, on est encore bien loin de la juste redistribution et de l’équité spatiale. Mohand Laenser en rend bien compte avec cette chute poignante : « vous savez, en ville, quand vous donnez honteusement cinq dhs à une mendiante, vous avez la culpabilité du peu que ça représente. Dans des endroits du monde rural, c’est un salaire ».
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* Front de Défense des Institutions Constitutionnelles
**Tu quoque mi fili, (Toi aussi mon fils), lancé, selon la légende, par César à son jeune protégé Marcus Junius Brutus qui s’est joint aux conjurés pour le poignarder.
Rédigé par Naïm Kamal sur https://quid.ma