Par Aziz Boucetta
Cher Tonton,
J’ai appris ta déception suite à la condamnation à cinq années de prison de Soulaïmane Raissouni par la justice de mon pays qui, petit détail, n’est pas le tien. Crois bien cependant que je suis navré tout autant par cette condamnation que par ta contrariété. Je sais que tu sembles vraiment affectionner les droits de l’Homme, tout particulièrement, et je conçois bien que l’idée qu’un homme passe cinq années derrière les barreaux puisse peut-être te répugner. Comme à moi. Mais que faire quand c’est la justice qui l’a condamné à ces cinq années de prison ? Et tu connais la justice, elle est aveugle et souvent sourde et à la main lourde, comme tu le sais si bien chez toi.
Soulaïmane Raïssouni est un homme, journaliste de profession, comme on te l’a soufflé, qui a été poursuivi, jugé et condamné, pour des motifs autres que journalistiques. Certaines gens de chez nous ont mis en doute ces chefs d’inculpation, et elles ont parfaitement le droit de le faire, même si faire appel et attendre ta contrariété est plutôt une faute de goût. Mais je suis par ailleurs assez déconcerté que tu dénies à l’homme qui dit avoir été agressé par Soulaïmane le droit que tu as jadis reconnu à Nafissatou Diallo contre DSK. Or, sais-tu, Tonton, qu’il existe une chose qui s’appelle l’autorité de la chose jugée ? Et bien nous avons aussi cela chez nous et c’est pour cela que le législateur a inventé l’appel et les recours. Quant aux discours, ils ne seront aux condamnés d’aucun secours.
Et sais-tu aussi, très Cher Tonton, qu’en relations internationales, un autre principe prospère, qui est celui de la souveraineté nationale et que, bafoué, il ouvre sur un autre concept, en l’occurrence celui de l’ingérence. Souviens-toi à ce propos de ton embarras masquant mal ta colère quand le camarade Poutine t’avait renvoyé aux tristes événements du 6 janvier 2021, qu’il est inutile de rappeler ici… Pas plus qu’il ne serait décent d’évoquer les dizaines, que dis-je les centaines, voire les milliers de personnes mortes, tombées sous les balles de policiers toujours impunis. Tes relations d’Oncle Sam avec l’Oncle Ben’s ne semblent toujours pas apaisées…
Cher Tonton,
Je te ferai grâce de cette vérité que tu n’as que trop entendue, celle de notre reconnaissance de l’indépendance des Etats-Unis au 18ème siècle, mais je te rappellerai cependant que comme la toute jeune nation que tu es, un chouiya exaltée… tu distribues des satisfecits et des remontrances all around the world, oubliant comme disent les Anciens de balayer devant ta porte, voire à l’intérieur de chez toi… où le sol rougeoie et où une partie de ta population s’égosille à proclamer qu’elle compte…
Sais-tu, Très Cher Tonton, que c’est exactement pour cela que les Chinois sont attrayants, car ils commercent avec les autres en ayant l’élégance de ne pas leur dire comment tenir leur fourchette ou aimer leurs enfants. Je sais bien que le piège de Thucydide dans lequel tu t’es enfermé t’empêche de considérer cela et de l’admettre, te conduis à tout te permettre, et d’ainsi perdre l’estime de celles et ceux qui auraient tant voulu t’admirer pour ton jazz et tes jeans, ta malbouffe et ton way of life, tes villes grandioses, ton cinéma et bien d’autres choses.
Tu as eu la clairvoyance, un jour, de reconnaître les droits du Maroc sur le Sahara et, ce faisant, tu as simplement dit que la vérité que tu as tant tardé à émettre. Cela te donne-t-il pour autant le droit de t’ériger en maître ?... Une fonction qui t’est pourtant aujourd’hui disputée par les Chinois, lesquels regrettent peut-être, dit-on, de ne pas avoir franchi le pas avant toi pour poser le pied dans cette région de l’Afrique, si stratégique, si prometteuse, si proche de tout… Des Chinois qui restent en embuscade.
Tonton, ô Tonton, comment peux-tu te donner la liberté de te déclarer déçu suite à un jugement rendu par la justice d’un pays ami, même si cette justice, il est vrai, halète par moments et hoquette souvent ? Est-ce de ton très douteux observatoire de Guantanamo que tu peux observer cela ? Si Soulaïmane Raïssouni a été mal jugé, il nous appartient à nous autres, Marocains, de le dénoncer, comme il te revient à toi, et à toi seul de songer au sort de Jeffrey Epstein, mort en prison avant d’avoir parlé, ou peut-être mort en prison pour lui éviter la peine de parler…
Si tu défends autant la liberté d’expression des gens, ne serait-ce pas pour mieux les écouter, les espionner, amis et ennemis confondus ? Si tu proclames la liberté pour les humains, Julian Assange n’est-il pas un humain ? Et que dirait Edward Snowden s’il lui était permis de parler dans ce pays, le sien, le tien, mon Oncle, qui l’empêche de s’exprimer ?
Je comprends, Tonton de l’Humanité, que la politique interne contraint l’administration actuelle à montrer de l’empathie pour les malheurs et les malheureux de ce monde, mais cela demeure de la simple et vulgaire politique intérieure – pour répondre au Congrès gangréné par les lobbies venant de partout et de nulle part – et aussi de la politique extérieure pour acculer les uns, gêner les autres, dominer le reste.
Mais avant de juger et de te laisser submerger par les préjugés, renseigne-toi sur ce qui a changé dans ce pays et que les moins de 20 ans, de 30 ans ne peuvent ni connaître ni te rapporter… et avant de dégainer plus vite que ton ombre, constate que pendant que tu troueras des pièces en l’air, l’air mauvais, d’autres que toi labourent les terrains, le sourire aux lèvres…
Prends de la hauteur, Oncle Sam, ou renseigne-toi sur le monde, et avant de juger, commence par jauger.
Avec toute mon affection, Cher Oncle Sam…
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com