Par Mustapha Sehimi
Ce mardi 6 juillet donc, le Chef du gouvernement, Saâdeddine E1 Othmani, va présenter son bilan devant le Parlement. A la tête de l'exécutif depuis quatre ans et trois mois - il a été nommé le 5 avril 2017 - c'est là, assurément, un grand et ultime rendez-vous institutionnel, politique aussi. Il va souligner que ce qu'il a réalisé est "honorable". Il attend de "bons résultats" des prochaines élections du 8 septembre, en particulier celles de la Chambre des représentants. De quoi conduire à se pencher sur la mandature actuelle et à s'interroger sur les conditions dans lesquelles se présente celle du quinquennat 2021-2026.
EL OTHMANI : QUEL BILAN ?
Sur l'actif de ce cabinet, l’évaluation est contrastée. El Othmani a préparé de grands dossiers pour mettre en relief son et action (économique, social, lutte contre la corruption,...) - l'on y reviendra dans les jours sinon les semaines à venir. Mais pour l'heure, des questions de principe au moins retiennent l'intérêt.
La première est celle-ci : qu'est-ce qui appartient en propre au Chef gouvernement et au parti qu'il dirige depuis décembre 2018 ? Ce n'est pas lui faire un mauvais procès de relever que les grandes réformes sont d'initiative et d’impulsion royale (formation, régionalisation, CRI, préscolaire) ; la plus emblématique d'entre elles est celle de la protection sociale devant se décliner jusqu'en 2025. C'est dire qu’E1 Othmani peut bien les mettre sur son tableau mais leur filiation ne lui appartient pas. Tout cela les électeurs et plus globalement les citoyens le savent.
Par ailleurs, les alliés du PJD au sein de l'exécutif vont-ils eux aussi revendiquer ce bilan global et dans toutes ses composantes ? Rien n'est moins sûr. C'est tellement vrai que ni les ministres RNI, MP, UC et USFP n'ont été pratiquement associés à l'élaboration et à la finalisation du document. Ce sera donc le" chacun pour soi" dans les deux mois à venir, la campagne électorale officielle devant commencer le 27 août.
Dans le déroulé de cet agenda, la tâche de la formation islamiste paraît difficile. Plusieurs fronts, pourrait-on dire, seront ainsi ouverts. Et le plus délicat sans doute est celui du "statut" d'Abdalilah Benkirane, ancien responsable du PJD et ex-Chef du gouvernement (3 janvier 20212- 10 octobre 2016) puis Chef désigné de l’exécutif jusqu'au 15 mars 2017. Question simple : sera-t-il candidat aux élections de la Chambre des représentants ? Réélu sans interruption depuis 1997 - soit cinq législatures - il avait démissionné de son mandat de parlementaire de Sale le 12 avril 2017, se trouvant dans une situation d'incompatibilité
Depuis, soit plus de quatre longues années, il n'avait plus aucun statut au sein de l'institution parlementaire. A la suite du IXème congrès, les 9-10 décembre 2017, il avait été remplacé - à la tête de la formation islamiste qu'il assurait depuis 2008 - par Saâdeddine El Othmani, alors président du Conseil national. Il a eu alors à formater, laborieusement d'ailleurs, un nouveau profil : celui d'un "absent-présent". Une politique de communication déclinée autour de cartes postales ("je suis toujours là"), de rencontres diverses (jeunes, syndicalistes, invités étrangers,...) et de réactions "à chaud" liées à la conjoncture nationale. Des mois de silence parfois puis une saillie et un gros pavé : l'homme a une intelligence aiguisée de l'opportunité politique à saisir.
Depuis sa "retraite" forcée, il se ronge des sangs. A titre personnel, il a mis du temps pour gérer son double échec de 2017 (Chef du gouvernement et responsable du PJD). Il a pris du recul ; il paraît ainsi plus serein mais pas moins mobilisé. Interpellatif. Et même combatif. Jusqu'à plus ample informé, il délibère encore sur sa candidature parlementaire à Salé. C'est qu'il ne maîtrise pas plusieurs paramètres pouvant peser sur sa décision : comment va se dérouler la campagne électorale législative, communale et régionale ouverte, le 27 août prochain en vue de ce triple scrutin le 5 septembre ? Va-t-elle générer ou non une nouvelle dynamique ? Le PJD contre qui ?
LE PJD, IN OU OUT ?
Ce n'est plus en effet le schéma binaire de 2011 ou de 2016 opposant frontalement la formation islamiste au PAM de Ilyas El Omari, dirigé désormais par Abdellatif Ouahbi, moins clivant. Contre le RNI alors, dont les ambitions de son responsable Aziz Akhannouch visent la direction de l'exécutif ? Autre facteur à prendre en compte : celui des résultats du PJD au lendemain du 8 septembre. Avec 124 députés et un matelas électoral de quelque 1.600.000 voix, il est admis que dans deux mois ces chiffres seront revus fortement à la baisse : l'impact du nouveau quotient électoral va pousser dans ce sens avec une "perte" d'une quarantaine de sièges ; le bilan du cabinet El Othmani aussi ; sans oublier la difficulté à mettre en avant une nouvelle offre politique et programmatique. Intervient également, où mettre un curseur significatif d'évaluation pouvant pousser à la reconduction du PJD dans le prochain cabinet, soit à sa tête, soit comme l'une de ses composantes ?
D'une autre manière, les résultats de ce parti seront scrutés et analysées avec soin par tous les acteurs; ils vont être pris en compte en particulier lors des assises du X ème congrès prévu en principe trois mois plus tard, ou au début de janvier 2022. Si le score du PJD est jugé positivement - dans une fourchette de 80-85 sièges parlementaires -, Saâdeddine El Othmani ne manquera pas de postuler pour un nouveau mandat, invoquant qu'il a "sauvé les meubles», même si son parti ne dirige plus l'exécutif. C'est qu'en effet la vocation gouvernementale de cette formation s'est accentuée au fil des ans ; tant de pesanteurs culturelles couplées à des ambitions personnelles vivaces appuieront cette option. Mais si le score était médiocre, toutes les cartes peuvent se redistribuer au sein de cette formation islamiste. E1 Othmani portera alors cet échec marquant la minoration et la banalisation du parti par rapport aux situations de 2011 et de 2021 où il était conquérant et porteur de changement.
ATOUTS DE BENKIRANE
Rien d'étonnent qu'un tel état des lieux ouvrirait un large boulevard à Abdalilah Benkirane. Il aurait pour lui plusieurs atouts : celui de ne pas se voir imputer ce déclin ; celui aussi d’être un gage de redynamisation et de mobilisation des "frères" ; celui enfin de revivifier le référentiel originel du PJD, avec ses valeurs et son identité dans des conditions non plus électoralistes - comme El Othmani, soit dit en passant. Ses prises de position tranchées sur la langue arabe en avril 2019 et le refus de la loi sur le cannabis, voici deux mois, témoignent bien de cet état d'esprit. Abdalilah Benkirane redoute depuis toujours que le PJD ne connaisse le sort de l'USFP d'hier devenu en deux décennies un supplétif d'un parti dit "administratif " comme le RNI, dirigé au surplus par Aziz Akhannouch à qui il conteste toute légitimité dans le champ politique national.
Pour autant, si Benkirane retrouvait la main au sein de son parti, pourrait-il avoir quelque rôle institutionnel public ? Du côté du méchouar, une approche moins négative que par le passé paraît prévaloir. L'on a pris acte qu'il y a chez lui une maturation : il proclame à l'envi qu'il soutient SM le Roi et les grandes réformes en cours ; il s'est prononcé avec clarté et fermeté sur l'approbation de la "normalisation" avec Israël dictée par des intérêts d’Etat ; l'on mesure aussi que son populisme, son charisme et son courage peuvent être précieux comme amortisseurs dans l'intermédiation avec les couches populaires pour faire face à des conjonctures difficiles à terme. Alors que tant de partis et de leaders sont quelque peu inaudibles pour les citoyens, la carte Benkirane peut donner une valeur ajoutée à la vie politique en 2022 et au-delà... Des pistes exploratoires retenues appelées à être examinées au plus près après les élections du 8 septembre.
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