Par Gabriel Banon
L’Histoire parait sans appel. Les sanctions, qu’elles soient diplomatiques ou économiques n’ont jamais atteint leurs objectifs. Les régimes africains sanctionnés pour cause de coup d’État ou prolongement inconstitutionnel de mandat présidentiel n’ont jamais cédé, et des décennies de sanctions occidentales, voire de l’ONU, n’ont pas eu raison de celui de Saddam Hussein. Idem pour les ambitions nucléaires de l’Iran ou de la Corée du Nord.
Une exception peut-être, la Libye de Kadhafi, qui a renoncé à ses armes de destruction massives, mais au bout de 18 ans, ou l'Afrique du Sud, dont l’abandon de l’apartheid a sans doute davantage à voir avec l’absurdité économique et sociale de ce régime qu’avec son isolement international.
L’inefficacité des sanctions peut facilement être expliquée. En général, les sanctions économiques visent à un effondrement du niveau de vie de la population déjà soumise à une dictature. Cela, vu l’aspect injuste des effets, rendent contre-productifs les mesures sur le plan international. Elles espèrent provoquer un changement de régime voire un soulèvement qui n’arrive jamais car, autre idée reçue, la pauvreté provoque rarement les révolutions. Les sanctions provoquent souvent un ralliement autour du drapeau, comme l’a montré l’ embargo américain à Cuba.
Quid des sanctions ciblées, visant les plus fortunés du pays en misant sur un coup d’État. Là encore, l’Histoire nous dit que cela n’a jamais vraiment marché. Le nationalisme se révèle en général plus puissant que le goût de l’immobilier à Londres chez les satrapes.
Vladimir Poutine n’est pas otage de son entourage, encore moins des oligarques qu’il a combattu quand il est arrivé au pouvoir. Il ne peut qu’ignorer le sort des fortunes diverses de « ces élites » si son projet géopolitique est en jeu. Ce n’est pas la confiscation du yacht ou de la villa sur la côte d’Azur d’un proche qui fera changer le Kremlin d’avis.
Surtout, les sanctions demandent beaucoup de temps pour qu’elles aient un effet quelconque, alors que la guerre en Ukraine se joue en quelques jours…
Toutefois, les choses pourraient tourner différemment, pour une fois. Les sanctions occidentales décidées ces jours, peuvent avoir un effet immédiat et massif. L’exclusion d’à peine trois banques du système swift de paiements internationaux ne constitue pour l’instant qu’un avertissement, mais le gel des réserves à l’étranger de la banque centrale peut être dévastateur : car se pose la question de la défense du rouble, qui a dévissé de 30 % en deux jours. La banque centrale a dû relever en urgence son taux directeur à 20 %, ce qui rend hors de prix tout emprunt et donc tout investissement.
Les sanctions occidentales ont un volet pas économique, stricto sensu, mais tout aussi dévastateur sur le ressenti des Russes : la fermeture de l’espace aérien occidental aux compagnies russes, et les représailles du Kremlin. Ceci met un frein aux voyages de la classe moyenne russe qui doit envisager des vacances en Russie, favorisant le tourisme domestique.
De telles pressions peuvent susciter un sentiment de colère et d’humiliation en Russie, et déclencher une montagne de reproches à l’Occident, de quoi alimenter la paranoïa apparente de Vladimir Poutine.
A l’inverse des sanctions instaurées par le passé contre d’autres pays, celles contre la Russie n’ont pas pour objectif principal d’obliger le régime à changer de nature, ou de politique, mais de stopper une invasion. Une des utopies des sanctions est de pousser les plus hauts dirigeants russes à débrancher Poutine si l’aventure militaire tournait mal.
Si la guerre est « généralement la continuation de la politique d’État par d’autres moyens », comme disait Clausewitz, les sanctions économiques peuvent aussi être considérées par ceux qu’elles visent comme la « continuation de la guerre » par d’autres moyens. Le risque alors est que Moscou considère les pays développant les sanctions comme des belligérants prenant part à cette guerre.
C’est ainsi que le Japon avait estimé avoir été poussé à l’attaque de Pearl Harbor par le gel de ses actifs et l’embargo sur le pétrole et l’acier décidé par Roosevelt à l’été 1941 en représailles à son invasion de la Chine.
Vladimir Poutine pourrait donc prendre pour une agression de type militaire, les mesures hors du commun édictées par les Occidentaux.
Ceci dit, le succès des sanctions dépend de la résilience du peuple russe, certes, mais également de la Chine. Première puissance économique mondiale, si elle se mettait résolument et ouvertement du côté de Moscou, les sanctions deviendront rapidement une légende. C’est une alternative hautement possible, Pékin a le même problème avec Taiwan que Moscou avec l’Ukraine, ces deux trritoires résolument adossés à l’Occident.
Rédigé par Gabriel Banon sur Gabrielbanon