Par Mustapha Sehimi
L’élection de Aziz Akhannouch, chef du gouvernement désigné, à la mairie d’Agadir a focalisé l’attention du grand public sur la question des incompatibilités. De fait, le législateur s’est préoccupé de cette question avec l’adoption de la loi organique n° 04-21 sur le non-cumul des mandats. Ce nouveau texte est venu compléter la loi n° 11-27 relative à la Chambre des représentants adoptée par le Parlement. Des modifications ont été ainsi apportées aux cas d’incompatibilités du mandat de parlementaire avec ceux de président de région ou de commune.
C’est dans les dispositions de l’article 13 (2ème paragraphe) que sont précisées des situations particulières: président de région, de conseils communaux et provinciaux, et du conseil d’une commune dont la population dépasse les 300.000 personnes, sur les bases du dernier recensement. Ces mêmes règles régissent les mandats des parlementaires membres de la Chambre des conseillers: elles sont énumérées dans les dispositions de la loi organique n° 21-05 qui a modifié et complétées par la loi n° 28-11 relative à cette institution. Aujourd'hui, il faut noter que treize villes dépassent le seuil de 300.000 personnes: Tanger, Tétouan, Oujda, Fès, Meknès, Rabat, Salé, Témara, Kénitra, Casablanca, Marrakech, Safi et Agadir.
La loi suprême prévoit, par ailleurs, qu’une loi organique détermine «les cas d'incompatibilité avec la fonction gouvernementale» ainsi que «les règles relatives à la limitation du cumul des fonctions» (art.87, a1.3). La loi organique n° 065-13 du 19 mars 2015 a été promulguée pour préciser le domaine et l’étendue des incompatibilités. Ainsi les dispositions de l’article 32 considèrent comme incompatibles avec la fonction gouvernementale ce qui suit: la qualité de parlementaire de l’une des deux chambres, la fonction de responsable d'établissement public ou d'entreprise publique, la présidence d'une collectivité territoriale, d'une chambre professionnelle ou encore de toute fonction publique non élective dans les services de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des autres personnes de droit public ou des sociétés dans lesquelles l'Etat détient plus de 30 % du capital.
Il faut encore ajouter que pendant la durée d'exercice de leurs fonctions, les membres du gouvernement doivent suspendre toute activité professionnelle ou commerciale dans le secteur privé. Sont visées ici leur participation dans les organes de direction, de gestion et d’administration des entreprises privées à but lucratif et toute activité pouvant entraîner un conflit d'intérêt. La seule exception concerne les activités dont l'objet social porte sur la prise de participations et la gestion des valeurs mobilières. En cas d'incompatibilité, tout membre du gouvernement concerné doit régulariser sa situation dans les soixante jours suivant l'investiture du cabinet par la Chambre des représentants.
Par ailleurs, la question de l'incompatibilité et du cumul d'indemnités reste encore posée. Elle a été débattue en janvier dernier au Parlement. Ce qui était en cause c'était pratiquement la «collection» d'indemnités mensuelles liées à des mandats et à des postes occupés par les parlementaires soit dans des instances constitutionnelles soit dans d'autres élues. Aucun accord n’a pu se réaliser à cet égard, compte tenu des «résistances» relevées dans les travées de cette institution. Les situations visées sont de divers ordres: les unes intéressent l'indemnité pour la présidence du groupe parlementaire; d'autres la présidence d'une commission parlementaire; d'autres encore regardent la qualité de membre d'une instance; sans oublier celle de membre du bureau d'une institution nationale (parlement, collectivité territoriale). Il s'agit là d'une sorte de «rente»: elle tourne le dos à des exigences de bonne gestion, de bonne gouvernance et de rationalisation des dépenses publiques. Les «cumulards» sont ainsi «transcourants»... Les parlementaires PJD sortants n'étant pas d'ailleurs les moins nombreux!
L'on ne peut que regretter que la législation en vigueur n'aille pas plus loin. Pourquoi pas un déontologue au Parlement, comme à l'Assemblée nationale en France? Ou encore un Code d'éthique et de déontologie en vigueur dans d'autres (Québec, Suisse, pays nordiques, etc.)? Un Code qui édicterait des règles valables pour tous les parlementaires et d'autres titulaires de mandats électifs. Cela permettrait de ne pas pratiquer des activités de lobbyisme et d'instaurer la transparence et l'éthique sauf pour ce qui a trait aux activités exercées normalement par un élu dans le cadre de ses attributions.
A n'en pas douter les citoyens sont en forte demande de moralisation de la vie publique. Tout ce qui relève de l'«institutionnel» (gouvernement, parlement, collectivités territoriales, etc.) pâtit d’un déficit d’image et a ainsi besoin d'une réhabilitation. L'antiparlementarisme n'a pas diminué d'une législature à l'autre, ravivé par l'utilisation jugée importante de l’argent lors des scrutins du 8 septembre courant.
Le régime actuel des incompatibilités a marqué des points avec le non-cumul du mandat de parlementaire avec celui de la présidence d'une municipalité de plus de 300.000 personnes. Mais qu'en sera-t-il des autres en-deçà de ce seuil? Des conflits d'intérêts sont-ils évitables? L'incompatibilité entre le mandat parlementaire et un emploi public ou encore la fonction de membre du gouvernement ainsi que certaines activités professionnelles sont un acquis.
L'objectif est toujours le même: assurer l'indépendance des élus vis-à-vis de la puissance publique et les empêcher de pouvoir tirer avantage de leur mandat dans l'exercice de certaines professions. Mais ce périmètre des incompatibilités ne couvre pas les conditions d'exercice de fonctions de conseil (avocat, consultant...). Encore un effort donc! L’éthique, la déontologie: une culture à instiller durablement...
Rédigé par Mustapha Sehimi sur https;//le360.ma