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Le grand (et dangereux) jeu diplomatique du Maroc




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Le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita ne passe pas un jour sans s’entretenir avec un de ses homologues de par le vaste monde : Bénin, Gabon, Etats-Unis, Malawi, Serbie, Ghana, Finlande, Djibouti, Nigéria… Et en parallèle, les relations se crispent avec les Européens, alliés traditionnels du royaume. Avec l’Espagne, cela ne va plus très fort, et avec l’Allemagne, cela ne va plus du tout.
 

Il est difficile de ne pas relever la concomitance entre différents faits, si on part du principe qu’en diplomatie et en politique, la coïncidence est plutôt rare, et rarement fortuite. Vendredi 30 mai, Nasser Bourita a ce fameux – et mystérieux – entretien avec le secrétaire d’Etat Antony Blinken. Ils ont parlé de leur partenariat « robuste et durable » et des « dividendes à long terme » de la « reprise des contacts officiels » entre Rabat et Tel Aviv. Ils auraient également parlé du Sahara et de la reconnaissance de sa marocanité par Washington (selon des informations non démenties du site Axios). Et puisqu’il y a une très compréhensible zone d’ombre et de discrétion dans cet appel, ils ont pu parler aussi d’autre chose.
 

Toujours est-il que deux jours avant, le Maroc a décidé de confier le mégaprojet du port Dakhla Atlantique au groupement marocain SGTM/Somagec, évacuant entre autres le Français Eiffage (en compétition avec le groupe marocain en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Burkina Faso), le privant d’un chiffre d’affaires fort alléchant d’un milliard d’euros. Le lendemain de l’entretien Bourita/Blinken, le Marocain lance un ultimatum d’une rare violence à l’Espagne, au sujet de l’affaire Brahim Ghali ; les échanges entre les deux diplomaties autour de cette affaire étaient certes acrimonieux, mais n’avaient pas atteint cette violence peu diplomatique. Et six jours plus tard, le Maroc rappelle son ambassadrice à Berlin, en consultation certes, mais rappel quand même.
 

En une semaine donc, le Maroc adresse un message explicite à Paris, tance violemment Madrid et marque une rupture avec Berlin. En analyse diplomatique, la spéculation est hasardeuse, les acteurs directs restent muets, mais les actes et les faits sont éloquents. Cela appelle, et permet, quelques remarques.
 

1/ Durant le 20ème siècle, les Etats-Unis sont restés en retrait de l’Afrique, malgré leur implication pendant la 2ème Guerre mondiale et leurs interventions lors de la phase des décolonisations. L’Afrique était une zone d’influence européenne, les Américains déléguant leur leadership mondial aux anciens colonisateurs du Vieux continent, et cela fut maintenu dans la phase guerre froide.
 

2/ La présidence Trump a éloigné les Etats-Unis de l’Afrique, laissant le terrain libre à la Chine conquérante, la Russie invasive quoique hésitante et l’Europe très intéressée, bien qu’affaiblie et avançant en ordre dispersé. Joe Biden semble vouloir œuvrer à rétablir les équilibres géostratégiques en affichant un intérêt croissant et décisif pour l’Afrique, en vue de l’accès aux ressources et dans une perspective de sécurité au Sahel.
 

3/ Le patron de l’Africom, le général Stephen J. Townsend, a très récemment confirmé cette réorientation stratégique de Washington, en délivrant une déclaration fondée sur trois piliers : l’équilibre géostratégique (« Russie et Chine sont présentes en Afrique et cela signifie quelque chose »), l’accès aux ressources (« L'Afrique possède 60% des terres arables du globe, et abrite également une pléthore de matériaux stratégiques, tels que le cobalt, le chrome, le tantale et plus encore. Les ressources africaines sont essentielles au progrès du 21ème siècle »), et la plateforme des valeurs (« Les Etats-Unis n’ont jamais été une puissance colonisatrice en Afrique et nos valeurs sont ses valeurs »).
 

Longtemps considérée comme un « angle mort » de la politique américaine, l’Afrique fait aujourd’hui l’objet de toutes ses attentions, dans une compétition de moins en moins feutrée avec les Européens (essentiellement France, Espagne, Allemagne et Portugal). La séquence est éminemment historique car les Etats-Unis n’ont jamais eu de stratégie véritable et véritablement entreprenante en Afrique. Les points d’entrée de Washington sur le continent furent la Corne de l’Afrique et l’Afrique du Sud au début du siècle, et l’accord tripartite du 22 décembre 2020 (Washington, Tel Aviv et Rabat) semble faire du Maroc le troisième point, cette fois sur la façade ouest et atlantique de l’Afrique.
 

Le Maroc, tête de pont stratégique de l’Oncle Sam en Afrique ? Il le semblerait en effet, en dépit de la discrétion, des indiscrétions et autres dénégations. Or, cela oblige le royaume à changer urgemment sa politique intérieure, essentiellement économique, en faisant émerger de véritables champions qui ne seraient plus les incontournables rentiers, faiblement susceptibles de créer une véritable puissance qui soutiendrait et renforcerait la rupture géostratégique et diplomatique marocaine. Il est vital aujourd’hui de construire une économie plus forte et moins inégalitaire.
 

Avec ces dernières évolutions, le Maroc renvoie l’image d’un train ordinaire tracté par une motrice TGV… SI la grande vitesse ne s’accompagne pas d’un réaménagement de l’attelage arrière, le risque de déraillement épaissit. Mais que M. Bourita poursuive ses appels et ses contacts, ses colères et ses postures, cela n’est pas son affaire.
 

Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com




Samedi 8 Mai 2021


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