Par Mustapha Sehimi
Les résultats des urnes du 8 septembre sont là: ils traduisent bien des changements d'ordre électoral et politique. Le RNI d’Aziz Akhannouch est le grand gagnant avec 102 sièges - son président a été désigné par le Roi pour former le prochain cabinet, conformément aux dispositions de l'article 47 de la Constitution de 2011. Succès aussi pour le PI de Nizar Baraka qui améliore de 35 sièges son score de 2016 avec désormais 81 députés, ou encore pour l'USFP (en progression de 14 sièges avec 34 mandats ainsi que pour le PPS qui gagne 10 sièges passant de 12 à 22. Deux autres partis piétinent cependant: le MP (28) et l'UC (18). Le recul du PAM est à relever : il perd 15 sièges (87). Surtout la déroute du PJD avec 13 sièges seulement alors qu'il en comptait 125 dans la Chambre des représentants sortante.
Deux pôles
Tous ces chiffres sont connus. Ce qui serait intéressant d'appréhender c'est de tenter de les mettre en perspective. En se basant sur les cinq scrutins qui se sont tenus à ce jour (2002, 2007, 2011, 2016 et 2021), bien des observations se dégagent. La première d'entre elles a trait à deux pôles bien distincts, celui des partis issus du mouvement national et ceux dits "administratifs". Comment ont-ils évolué depuis une vingtaine d'années? Il faut distinguer ici entre deux séquences, l'une couvrant la période 2002 jusqu'à 2011 et l'autre la décennie 2011 /2021.
Ce qui frappe c'est la relative stabilité des partis de la Koutla avec 109 députés en 2002, 107 en 2007 et une légère progression en 2011 (117). Cela donne globalement 33% environ du total des membres de la Chambre des représentants pour 2002 et 2007, mais une contraction de 3,4 points en 2011 (29,6%). Quant aux partis liés à l'administration (RNI, UC et le MP réunifié avant 2007, ils se situent également dans ce même étiage de 33% avec 119 députés (2002) puis 107 (2007) avant de grimper d'une cinquantaine de sièges (154) en 2011, soit 39,2% des sièges de la Chambre basse. Ils ont bénéficié à ce dernier rendez-vous législatif de l'arrivée d'un nouveau venu, le PAM créé officiellement en février 2009.
La seconde séquence 2011/2021 se distingue, elle, par de profonds changements. Le premier est celui observé avec précisément le PAM qui remporte 47 sièges en 2011, puis 107 en 2011 pour retomber à 87 en 2021. Voilà donc ce parti du tracteur qui s'installe et prend une place non pas de premier plan - comme annoncé et programmé au départ - mais importante. Il se classe derrière le RNI mais se situe autour de plus de quatre-vingt sièges, pratiquement à l'échelon du parti de l'Istiqlal (81). De ce fait, il rejoint et renforce les partis "administratifs" précités (RNI, MP, UC) qui n'ont enregistré qu'un modeste résultat en 2016 avec 83 députés, soit à eux trois une vingtaine de sièges de moins que le seul PAM (102).
Avec ces quatre composantes, ce pôle totalise 235 députés, soit 59,4% des effectifs de la nouvelle Chambre des représentants, vingt-deux points étant imputés au seul parti du tracteur. Un grand rééquilibrage s'est fait ainsi entre 2016 et 2021 en faveur de cette catégorie de formations. Sans le PAM, les trois partis (RNI, MP, UC) ont gagné 50 sièges (133 contre 83) ; ce qui leur assure un bond de plus de treize points dans leur représentation parlementaire (37,4 %). En 2016, avec le PAM, leur effectif global était de 185 membres, soit 46,8% des sièges de la Chambre des représentants.
En termes arithmétiques, en 2021, ces quatre partis ont 37 sièges au-dessus de la majorité absolue fixée dans cette même institution. Question simple: pourquoi ne forment-ils pas, à eux seuls, un cabinet avec une majorité confortable à la clé ? Des préoccupations politiques contraignantes ne permettent pas une telle formule. Si tel était le cas, un clivage accentué serait alors institué ne garantissant ni une stabilité institutionnelle et politique ni même une ferme capacité de mener à leur politiques publiques prévues lors de la campagne électorale. Voit-on une telle majorité arriver à faire face à une opposition plurielle formée du PJD, du PI, de 1'USFP, et du PPS ?
Intrusion de la formation islamiste
Depuis une dizaine d'années, la formation islamiste est de plus en plus partie prenante dans la vie parlementaire et politique. En 2002, elle comptait 42 députés - elle en avait 9 en 1997. En 2007, elle gagne quatre sièges (46) puis c'est le bond historique de 2011 avec 107 membres, un score encore amélioré en 2016 (125) pour finir avec l'effondrement du 8 septembre (13). Un tel chiffre paraît bien mettre fin à l'intrusion de cette formation islamiste dans le système partisan et dans sa représentation électorale et parlementaire. Faut-il en déduire que c'est l'échec consommé, historique et durable, de cette mouvance ? Elle a connu du succès et en pôle position en 2011 puis en 2016 mais elle n'est plus en capacité de s'incruster durablement dans le champ politique national.
Ce qui va donc prévaloir, comme par le passé, c'est une majorité avec un tronc commun autour du RNI, du PI, de l'USFP - éventuellement, du MP et de l'UC. ET le PAM dans tout cela ? Est-il bien nécessaire et utile de l'intégrer dans une nouvelle majorité ? L'UC aussi est placée face à cette même équation. A se demander s'il n'y a pas là une nouvelle typologie partisane à évoquer : celle de partis qui sont là, qui font du "chiffre", mais qui n'ont aucune fonction, sinon de participer à un processus électoral et démocratique dont ils ne tirent pas les fruits. Le cas du PPS est bien différent. Par suite de la teneur historique de son parcours et de ses engagements, il a été dans tous les cabinets depuis celui de l'alternance en 1998. Il n'a rejoint l'opposition - par choix - qu'en octobre 2019. Dans la présente conjoncture, il n'est pas cependant annoncé comme devant rejoindre la nouvelle majorité.
Un P.A.S électoral et parlementaire
La gouvernance majoritaire répond-elle à des lois non écrites ? Aucun des pôles précités (partis héritiers du mouvement national / partis "administratifs’’) n'arrive donc seul à former seul une majorité. D'où un montage associant les uns et les autres suivant des modalités variables - un compromis donc. Le PJD n'a pas dérogé à cette exigence. Il ne sera plus partie prenante aujourd'hui. S’opère ainsi, avec ces scrutins du 8 septembre, une forme de P.A.S. électoral et parlementaire. Un processus de "normalisation" remisant les effets des élections de 2011 et de 2016. Une régulation par les électeurs d'un choix pour des règles de jeu qui ont prévalu par le passé - la négociation, le compromis... les votants peuvent donc se mobiliser pour les uns mais aussi sanctionner d’autres. En même temps, ils se prononcent non pas - ou plus ? - sur des promesses et une rhétorique religieuse mais sur les capacités managériales des élus. De quoi minorer les profils "militants" dans les partis et promouvoir plutôt les compétences, fussent-elles "technocratiques"...
Rédigé par Mustapha Sehimi sur https://quid.ma