Par Naïm Kamal
Le ministère de l’Intérieur mouille le maillot dans une campagne d’incitation des potentiels électeurs à s’inscrire sur les listes électorales. Une autre campagne sera bientôt lancée pour sensibiliser l’électorat au vote et à l’importance de ces échéances. Du couplage des communales, des régionales et des législatives qui se dérouleront le même jour, on attend aussi un effet consolidé sur la mobilisation des électeurs.
A contre sens, Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al Maghrib, fait une sortie pour émettre des réserves feutrées sur le Nouveau Modèle de Développement, ce qui est, le NMD n’étant pas une compilation sacrée, doublement son droit en tant que citoyen et en tant qu’autorité monétaire. Et par une de ces digressions qu’on lui connait que trop bien, il réduit les partis politiques à des condiments même pas capables dans la logique de son entendement d’accompagner ou de relever une de ces harira made in Rcif ou faite maison à Boujloud.
Crochepied sans doute Inintentionnel (le Wiktionnaire accepte cet emploi), mais qui détonne avec la campagne du ministère de l’Intérieur, laissant l’impression que dans le chœur de l’Etat chaque voix vibre de son propre chant.
Une institution vénérable
Ça ne surprendrait personne, la sortie de A. Jouahari c’est surtout aux partis politiques qu’elle a déplu. Enormément. Mohamed Najib Boulif du PJD lui répond à la manière boulifienne d’où provient étymologiquement le verbe boulifer. L’économiste istiqlalien Samir Belahsen, si gentil d’habitude qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession, après avoir enrobé le wali de miel, n’y va pas par quatre chemins sur les colonnes de la presse de son parti : « Ces derniers temps, on dirait que [M. Jouhari] aime s’écouter, disserter sur tout… ce n’est pas son job ». Il aurait pu, plus simplement, rester dans l’ordre végétal et lui dire occupe-toi de tes oignons.
On s’attend par ailleurs à ce que le comité exécutif de l’Istiqlal consacre au sujet un paragraphe dans son prochain communiqué. D’ici là, c’est le RNI, formation avec laquelle ce grand haut commis de l’Etat pourrait très bien matcher, qui a opéré la contre-attaque la plus frontale. Après plusieurs attendus qui renvoient dans son communiqué à la constitution, à l’importance des échéances, au rôle des institutions étatiques et leur impérative neutralité, le RNI qualifie les propos du wali d’énormité, s’étonne de leur étrangeté, les condamne vigoureusement et les dénonce comme une dangereuse dérive du patron d’une institution vénérable.
Une longue carrière et toutes ses griffes
Abdellatif Jouahri n’en est pas à sa première sortie, ni fort probablement à sa dernière, mais celle-ci contre les partis à ce moment précis a certainement été celle de trop. Le Wali de Bank Al Maghrib est une compétence connue de tous et reconnues par tous. Sa longue carrière au service de l’Etat plaide pour lui. Il y a près de 43 ans, il prenait dans le gouvernement d’Ahmed Osman en passe de devenir le père fondateur du RNI, le poste de ministre délégué en charge de la réforme qui n’en finit pas aujourd’hui encore, des entreprises publiques.
Il sera plus tard patron de la BMCE dix ans avant sa privatisation, avec une « rémunération royale », inaugurant les grands salaires à la tête des entreprises et établissements publics. Entre temps il a été ministre de l’Economie et des Finances pendant les années des vaches maigres et du plan d’ajustement structurel. C’est à cette époque que remonterait son ultra orthodoxie macroéconomique et c’est à elle qu’il devrait, selon ses détracteurs, son syndrome posttraumatique chronique, une forme aigue de macroéconomite fonctionnelle. Au Parlement, il se fera remarquer, à cette époque exactement comme aujourd’hui, par son mordant et son langage aussi imagé que cru. « Un bon ja3ouak (gueulard)», aurait dit de lui Feu Hassan II.
Sans doute, Abdellatif Jouahri n’a-t-il pas totalement tort lorsqu’il évoque la défiance ambiante, et dans un autre poste que le sien, sa sortie n’aurait provoqué aucun remous. Même dans ses fonctions actuelles, sa critique aurait eu une chance d’emporter quelque adhésion si elle avait été précédée d’une autocritique. En nous disant, par exemple, sa part de responsabilité dans la situation actuelle. Car il y va de la critique comme de la dérision - autre trait parfois plaisant de son personnage. Elle n’est porteuse que quand elle découle de l’autodérision.
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