Par Aziz Boucetta
Dans ce pays où la parole est rare et où les non-dits révèlent bien des choses que les dires prudents et dispersés des uns et des autres confirment, il est important de lire les événements qui se produisent. Le Maroc est un pays qui affiche une certaine nonchalance, mais où reste de mise la vigilance, tout le monde surveillant et guettant tout le monde. Depuis plusieurs mois, voire années, des faits surviennent, disparates certes mais très certainement convergents. Ils doivent être « lus ».
La société marocaine est vive et vivante, rarement conciliante et toujours intransigeante. Elle cogite et elle s’agite, même si elle a le sentiment que le politique ne l’écoute pas, car il s’agit d’une simple impression, les rapports entre citoyens et dirigeants étant, au Maroc, d’une infinie complexité. Voici ce qu’en disent Béatrice Hibou et Mohamed Tozy en commentaire de leur dernier ouvrage : « Les rapports de domination résultent de l’interaction entre tous les acteurs politiques : les hommes politiques, le personnel de l’administration, les hommes de gouvernement et le Palais bien sûr, mais aussi bien les acteurs économiques, les membres de la société civile, les citoyens. Tous ne sont évidemment pas égaux, tous n’ont pas la même capacité d’action et d’influence, de marge de manœuvre, mais la domination ne résulte que de cette confrontation ».
Que s’est-il donc passé depuis quelques années et, de plus en vite, depuis deux ans ?
1/ La constitution de 2011, tellement avant-gardiste qu’elle en paraît intemporelle ou, plus simplement, inapplicable. Mais le fait est là, le texte parle égalité et droits, séparation des pouvoirs et rôle de la société… et il équilibre singulièrement les pouvoirs, si effectivement appliqué. Il n’y a pas beaucoup de pays au monde où le chef de l’Etat ne peut démettre un chef du gouvernement sans créer une crise politique par la dissolution du parlement.
2/ L’évolution des partenariats et alliances internationales, initiée dans le discours de Riyad de 2016 et qu’on voit se mettre progressivement en place, au grand dam et face à l’incompréhension des alliés traditionnels qui y voient une incompréhensible (voire inadmissible) volonté d’autonomie.
3/ L’adhésion à l’Union africaine en 2017 pour troquer cette idée saugrenue et incroyablement improductive de la chaise vide pour celle de l’omniprésence diplomatique et politique.
4/ Le lancement en 2018 du Plan Maroc Vert new generation, appelé Green Generation, pour l’émergence d’une classe moyenne rurale (il reste au CESE de définir ce qu’est une classe moyenne…) et une gouvernance agricole moins dépendante du ciel.
5/ La mise en place de la stratégie de la formation professionnelle en 2019, avec l’introduction de cet élément innovant que sont les cités des métiers et des compétences et l’ancrage dans la régionalisation.
6/ La délimitation des frontières maritimes en 2020, qui a eu comme conséquence la fulmination des Espagnols, lesquels ont peu apprécié ce rappel géostratégique…
7/ Le lancement, encore en 2020, d’une vaste stratégie de financement des PME/TPE, avec l’accord un peu pincé des banques, mais accord quand même. Le projet a été freiné par la pandémie, qui a elle-même donné lieu à un plan de relance, certes perfectible mais ayant le mérite d’exister.
8/ La reprise, toujours en 2020, des relations commerciales et prochainement (peut-être au vu des récents évènements…) diplomatiques avec l’Etat d’Israël, tout en réussissant à préserver et maintenir les liens avec les Palestiniens, une décision qui ancrera davantage le Maroc dans les règlements des conflits moyen-orientaux.
9/ La mise en place en 2021 et en pleine pandémie du dispositif de protection sociale, avec assurance maladie et allocations familiales. Pour tous, car la protection est universelle.
10/ La publication, en 2021 toujours, du rapport sur le modèle de développement qui ambitionne de faire de nous en 2035 une nation qui ressemble à quelque chose. Le débat commence à peine autour de ses recommandations.
Ce sont là les principaux projets lancés depuis 5 ans, pour faire honneur aux ambitions des Marocains de voir leur pays enfin émerger. Il y a certes une crise de confiance et de gouvernance, en plus du sentiment d’insécurité qu’évoque le rapport Benmoussa, et ce sont là les principaux écueils à lever.
Mais ces grands projets mis bout à bout laissent deviner une volonté réelle de l’Etat de faire et de bien faire les choses, s’inscrivant dans un temps long, et laissent penser qu’une stratégie globale est suivie, et mise en place au pas de charge. L’Etat est pressé de faire les choses…
Il lui appartient, pour cela, de faire le job pour que partent ceux qui ne veulent pas s’en aller (et qui se reconnaîtront) et qu’arrivent ceux qui veulent travailler, et qui devront se manifester. C’est l’action individuelle de ces derniers et de leur interaction collective que jaillira le Maroc nouveau. Et que les sceptiques continuent de douter, ils prendront le train à la gare suivante.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com