PAR NAÏM KAMAL
Devant le juge Santiago Pedraz, le chef des milices du Polisario a nié. On ne l’imaginait pas agir autrement. Tous les criminels commencent ainsi. Mais sa ligne de défense laisse beaucoup à désirer.
Sans vergogne, il a déclaré « qu'à l'époque, en tant que ministre de la défense, il n'avait aucune responsabilité ni de capacité d'action dans les comportements décrits par les plaignants.»
Sans craindre le ridicule, le juge a feint de le croire, sans se demander si un « ministre de la défense », même d’une république maquette, ne pouvait réellement disposer des moyens de ce qu’on lui reproche, lui si indispensable à Alger pour tenir en laisse les camps bouillonnant de révolte de Tindouf, si irremplaçable que les généraux algériens, qui pouvaient le laisser mourir du covid et le remplacer par un autre proxy de son espèce, ont tout fait pour le maintenir en survie.
C’est dire combien est béante dans les camps la carence en chefs à la main d’Alger.
Le juge d’instruction l’avait donc laissé en liberté, lui enjoignant uniquement de fournir une adresse et un numéro de téléphone en Espagne pour pouvoir être localisé. La bonne blague. Et sans être dans le secret de l’instruction, on n’a pas de mal à imaginer que le citoyen algérien Mohamed Benbattouche, alias Brahim Ghali pour les besoins de la mauvaise cause, a donné l’adresse et le numéro de l’ambassade de l’Algérie à Madrid.
Madrid et le choix de l’embarras
L’affaire laissera sans nul doute une tache indélébile au fronton de la démocratie espagnole et de sa justice, et aura immanquablement, tôt ou tard, des suites en Espagne.
Mais il faut comprendre l’Espagne. Juger Brahim Ghali reviendrait à prendre le risque d’un grand déballage des menées et des intrigues de ses propres services et de sa diplomatie dans l’affaire du Sahara. Acculé par un procès, il n’aurait pas hésité à dévoiler, non pas les aboutissants, on les connait que trop, mais les tenants et les protagonistes de ce vaste complot qui empoisonne la région depuis près d’un demi-siècle.
Car c’est lui, Brahim Ghali, qui en 1975 à Laayoune, a été rencontrer le général espagnol Gomez de Salazar pour faire aboutir l’idée séparatiste. Une intrigue mise en œuvre dans le dos de Mustapha El Ouali*, père fondateur au Polisario assassiné par les services algériens en Mauritanie, et Mahfoud Ali Biba, tous deux encore réfractaires à l’époque au projet de la création d’un micro-Etat*. Depuis, à la croisée des services espagnols, algériens et libyens, Brahim Ghali n’a cessé de naviguer dans les eaux troubles de ce monde du secret, du complot et de la manipulation.
Madrid qui s’est empêtré tout seul dans la mauvaise affaire de son accueil, n’avait plus que le choix de l’embarras. Le juger ou le laisser partir, chacun de ces actes avait un cout.
Des lignes ont bougé
Pour autant, il est utile à ce stade de le signaler, le jugement de Brahim Ghali ou sa condamnation n’intéressaient qu’accessoirement Rabat. S’il a été la goutte qui a fait déborder le vase, c’est les menées dans la discrétion des coulisses diplomatiques et les desseins cachés de Madrid qui ont été la cible de la diplomatie marocaine. Pour le Maroc il était devenu nécessaire de sortir l’Espagne officielle de sa confortable duplicité qui se dissimule dans son soutien peu couteux aux résolutions de l’ONU.
Lundi 31 mai, la veille de la comparution de Brahim Ghali, le ministère des Affaires étrangères marocain rendait public une déclaration détaillant et circonstanciant les reproches du Maroc. Véritable mise au point que l’autisme politique du chef du gouvernement espagnol a empêché de lire correctement, elle explicite les demandes marocaines sans équivoque. On peut ainsi lire dans cette déclaration que si la crise maroco-espagnole « ne peut s’arrêter sans la comparution du dénommé Ghali, elle ne peut pas non plus se résoudre avec sa seule audition. Les attentes légitimes du Maroc se situent au-delà. Elles commencent par une clarification, sans ambiguïté, par l’Espagne de ses choix, de ses décisions et de ses positions. » (Cf. lien avec la déclaration)
En fait, précise la déclaration, « cela revient à poser la question fondamentale suivante : que veut l’Espagne réellement ? » Une manière on ne peut plus clair de signifier à Madrid qu’il ne pourrait pas continuer à avoir le beurre et l’argent du beurre et le sourire de la crémière par-dessus le marché. C’est une remise à plat des relations maroco-espagnoles que veut Rabat en interpelant ce partenariat dit stratégique. Et il faut croire que les choses sérieuses ne font que commencer. Ce ne sera ni court ni facile.
A cette étape, Rabat peut déjà se féliciter d’un acquis. Des lignes ont bougé. L’unanimisme sacré qui se manifestait en Espagne chaque fois qu’il s’agissait du Maroc et du Sahara n’est plus. Derrière les expressions d’hostilité qu’on a pu voir et en dépit de la mobilisation de l’Espagne profonde enkystée dans ses tropismes, on a assisté à des prises de position vigoureuses contre l’attitude du gouvernement Sanchez.
Certaines en douce, comme celles d’une bonne partie du patronat espagnol. D’autres publiques émanant d’éditorialistes ou de responsables politiques. A plusieurs reprises on a vu le Parti Popular, principale formation d’opposition, monter au créneau pour dénoncer les « maladresses » du gouvernement Sanchez. La dernière date de ce mercredi 2 juin qui a vu le secrétaire général du parti demander la « démission immédiate » de la ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya, pour sa gestion «calamiteuse» de la crise avec le Maroc et l'"aveuglement" dont elle a fait preuve dans l’affaire Brahim Ghali.
José Bono, socialiste comme Sanchez, ministre de la Défense dans le gouvernement PSOE de Zapatero, est sorti de sa réserve pour condamner la position du gouvernement espagnol et expliciter l’ampleur de l’apport marocain dans le partenariat maroco-espagnol. Des Marocains ont pu également manifester intensément contre l’hospitalisation de B. Ghali qui a dû pour la première fois de sa vie souffrir des clameurs dénonciatrices qui lui parvenaient de la rue. Autant de choses impensables il n’y a encore pas si longtemps.
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