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Est-ce-que le retour de l'impérialisme russe ?


L’histoire retiendra l’idée d’intégrer l’Ukraine à l’Alliance atlantique (OTAN), comme l’une des plus provocatrices et contre-productives, aux conséquences dramatiques pour le peuple ukrainien. L’histoire retiendra l’idée d’intégrer l’Ukraine à l’Alliance atlantique (OTAN), comme l’une des plus provocatrices et contre-productives, aux conséquences dramatiques pour le peuple ukrainien.



Par Gabriel Banon

Est-ce-que le retour de l'impérialisme russe ?
Henry Kissinger écrivait dans son livre Diplomacy, en 1994, « l’impérialisme russe transcende les vicissitudes historiques et idéologiques. Des tsars à Vladimir Poutine, en passant par Joseph Staline, l’impérialisme est la seule constante de l’histoire russe. La respiration de la civilisation slave-orthodoxe, dans ses fibres les plus intimes, est impériale. »

L’histoire retiendra l’idée d’intégrer l’Ukraine à l’Alliance atlantique (OTAN), comme l’une des plus provocatrices et contre-productives, aux conséquences dramatiques pour le peuple ukrainien. 

Pour criminel et stupide qu’il ait été, ce suivisme à la politique constante de Washington à considérer la Russie comme un ennemi, a provoqué l’actuelle réaction, prévisible, de Moscou. Certes, cette responsabilité des événements que nous vivons aujourd’hui doit échoir toujours à l’envahisseur.

Pour comprendre la Russie, il faut garder en tête que ce peuple, né dans le creuset ukrainien, de souche scandinave, a conquis les immensités qui font de lui, aujourd’hui, le pays le plus vaste du monde. Sa civilisation slave-orthodoxe est impériale, dans ses fibres les plus intimes.

Obnubilés par des querelles byzantines comme les éoliennes ou les vaccins, les Européens ne réalisent pas l’histoire qui s’écrit sous leurs yeux. Voilà que soudain, l’armée impériale russe et la guerre sont à leur porte. Le drame est que cette guerre est là, toute proche, alors que l’Europe se pensait loin de toute belligérance.  

La France, avec sa force nucléaire de dissuasion, a le verbe haut. Mais elle n’a pas remporté de guerre par ses propres moyens voilà plus de deux siècles. Le Royaume-Uni n’a jamais été une puissance continentale, mais fut longtemps une puissance maritime. Sa sortie de l’Union européenne n’a rien ajouté à sa grandeur. Par contre, l’Allemagne a eu une tradition militaire et fut une puissance continentale pendant pas loin de deux cent ans.

Mais la puissance militaire ne s’apprécie plus aujourd’hui, par uniquement des chiffres, mais surtout par la maitrise de l’atome et des nouvelles technologies.

La Russie, si elle est modeste sur le plan économique, reste une des plus grandes puissances nucléaires, à égalité avec les États-Unis. Face à l’Ours russe, l’Allemagne, qui s’est « finlandisée », est devenue une Suisse en plus grand. Ceci est dû principalement à sa dépendance énergétique. 

En 1998, alors que la Russie n’existait plus militairement, le Sénat des États-Unis ratifiait le déploiement des forces de l’OTAN vers l’Est, dans les anciennes républiques soviétiques devenues libres à l’implosion de l’URSS. Cette politique d’encerclement de la Russie n’était nullement justifiée face à un pays qui venait de se convertir au système économique occidental. L’OTAN assurait aux nouveaux membres le bénéfice du parapluie nucléaire américain (une utopie) et celle d’une intervention immédiate (une autre utopie), en cas d’incursion russe. On vit aujourd’hui la valeur de tels engagements. 

Durant la guerre froide, George Kennam fut l’architecte d’une politique de « containment » de l’URSS. En 1998, il critiquait le fait que l’OTAN vienne chatouiller le nez de Moscou en déclarant : « Je pense que c’est le début d’une nouvelle guerre froide. Je pense que les Russes vont progressivement réagir de manière assez négative et que cela affectera leurs politiques. Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y avait aucune raison pour cela.

Personne ne menaçait personne d’autre. Cette expansion ferait se retourner les pères fondateurs de ce pays dans leur tombe. Nous avons signé pour protéger toute une série de pays, alors que nous n’avons ni les ressources ni l’intention de le faire de manière sérieuse. [L’expansion de l’OTAN] n’a été qu’une action légère de la part d’un Sénat qui ne s’intéresse pas vraiment aux affaires étrangères. Ce qui me dérange, c’est la superficialité et le manque d’information de l’ensemble du débat sénatorial. J’ai été particulièrement gêné par les références à la Russie en tant que pays mourant d’envie d’attaquer l’Europe occidentale.

Les gens ne comprennent-ils pas ? Nos différents dans la guerre froide étaient avec le régime communiste soviétique. Et maintenant, nous tournons le dos à ceux-là mêmes qui ont organisé la plus grande révolution sans effusion de sang de l’histoire pour renverser ce régime soviétique. […] Bien sûr, il y aura une mauvaise réaction de la part de la Russie, et alors [les partisans de l’élargissement de l’OTAN] diront que nous vous avons toujours dit que les Russes étaient comme ça… » (cité par Thomas Friedman, The New York Times, 22 février 2022). Ceci se passe de commentaires.

Rivés à leurs histoires d’éoliennes, de vaccins et de pronoms, les Européens n’ont pas noté que les relations internationales, de soumises au droit depuis 1989, quand l’Occident était sans rival, et s’identifiaient au Droit universel intangible des Nations Unies, ont insensiblement opéré une reptation à reculons vers : la force, et la diplomatie.

L’opposition classique entre la fin de l’Histoire et le monde multipolaire est dépassée, Le monde est résolument entré dans un monde tripolaire : Occident, Russie, Chine.

En fait, nous sommes revenus aux années 1960 du XXe siècle, avec les mêmes acteurs et la même vérité du rapport des forces en présence : l’Occident est nettement plus puissant que la Russie ; l’Occident est nettement plus puissant que la Chine. Mais l’Occident est incapable de se confronter avec une alliance, de droit ou de fait, entre la Chine et la Russie. C’était vrai à l’époque de Nixon, cela reste vrai de nos jours.

La différence aujourd’hui, est que les responsables américains du tournant diplomatique, Richard Nixon et Henry Kissinger, étaient d’une tout autre trempe. Ils étaient d’une autre envergure que les hommes qui gouvernent aujourd’hui. Adeptes de la Realpolitik, Nixon et Kissinger avaient le sens du principal et de l’accessoire, de la prééminence en diplomatie du rapport de force sur n’importe quelle considération morale. Ils ne nourrissaient aucune utopie et savaient que la diplomatie se rit des professeurs de vertu.

Le principal ennemi de l’Occident, dans le couple Chine-Russie, n’est pas la Russie. C’est la Chine. La Chine, comme hier l’URSS, revendique son ambition hégémonique ; tandis que la Russie impériale ne vise qu’à dominer et soumettre ses marches et sécuriser ses frontières.

Chine et Russie n’ont jamais été aussi proches aujourd’hui, sur tous les plans, depuis Henry Kissinger. L’Occident a littéralement jeté ces régimes dans les bras l’un de l’autre. L’Ukraine de la Chine, c’est Taïwan, 70 % des semi-conducteurs du monde moderne. 

On ne confrontera pas les périls et dangers de ce monde rebarbarisé, au sens de Friedrich Hegel, sans devoir porter au pouvoir des gens capables d’en comprendre les enjeux et les ressorts. La vertu de la démocratie est de permettre de tels changements sans effusion de sang. Il devient urgent d’y songer.

Rédigé par Gabriel Banon  



Dimanche 20 Mars 2022


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