Par Aziz Boucetta
Abdallah Laroui disait que le Maroc est une île et que ses habitants doivent se comporter comme des insulaires. Or, lorsque ces insulaires sentent, ou même simplement ressentent, l’animosité de ceux qui les entourent et veulent les isoler, ils regimbent, réagissent, deviennent offensifs, voire agressifs, toujours incisifs. Cela, nos voisins ne l’ont semble-t-il pas compris, du moins jusqu’à tout récemment, avec le changement étrangement simultané à la tête des diplomaties algérienne et espagnole.
C’est assez impressionnant… le 8 juillet, le premier ministre algérien, nouveau, inconnu et certainement trop éphémère pour que l’on retienne son nom, sort Ramtane Laamamra de sa naphtaline de deux ans et le nomme aux Affaires étrangères en remplacement du très mélancolique Sabri Boukaddoum. Et le 10 juillet, Sanchez, n’en finissant pas d’avaler des couleuvres de plus en plus longues, se résout à se séparer de la catastrophique Arancha Gonzalez Laya, la dame par laquelle les scandales arrivent, et demeurent, et rappelle son conseiller Albares de Paris, où Mme Albares conseille le président Macron…
Et à propos de France, la diplomatie française est aussi importante pour le Maroc que celle d’Alger et de Madrid. Mais il faudra attendre de connaître le sort de Jean-Yves Le Drian, fragilisé par l’enquête menée par Jeune Afrique sur ses aventures entrepreneuriales avec comme héros son fils Thomas, et encore plus ébranlé par le recul général de la France en Afrique francophone, sur à peu près tous les fronts, Mali, Guinée, Burkina Fao, Sénégal, Gabon et bientôt Côte d’Ivoire. Il faudra bien un responsable, qui deviendra coupable…
Dans cette nouvelle diplomatie marocaine, annoncée en avril 2016 par le roi Mohammed VI à Riyad et mise en œuvre depuis par Nasser Bourita, ce dernier a gagné les premières manches. Le terne Sabri Boukaddoum, de toutes parts acculé, n’a cessé de reculer. Nasser Bourita, impitoyable, a tapé, taclé, depuis qu’il est là, depuis qu’il est à la tête des Affaires étrangères, face à une Algérie officielle en godillots qui ne comprend plus ce qu’elle est et même ce que sa population est devenue.
Alors on rappelle Laamamra, ancien de Bouteflika, car il est l’homme parfait pour la situation. Il porte en lui en effet cette inestimable valeur de tout dirigeant algérien qui a de l’avenir, en l’occurrence une haine tenace pour le Maroc, entretenue par la vision régulière de films westerns où le Bon justicier gagne toujours et où le Méchant oppresseur perd invariablement. M. Laamamra y puise de l’inspiration… Mais il a cette épouvantable méchanceté dont les faibles détiennent le secret, et avec cela, il peut causer des soucis à Nasser Bourita. Il faut également guetter ses discrètes amitiés avec plusieurs présidents africains et sa muette collusion avec Emmanuel Macron.
En Espagne, Pedro Sanchez a voulu jouer l’équilibre politique de sa coalition faite de bric et de troc, le Maroc étant dans la balance avec les gens de Podemos. Le premier ministre a cependant raté toutes les banderilles qu’il voulait planter dans le corps du royaume et, las et désabusé, humilié par les 29 secondes avec Biden qui le hanteront 29 ans encore, il a fini par décapiter (politiquement) la Señora Arancha, économiste qui s’est hasardée en diplomatie, bien malheureusement pour elle et pour la diplomatie.
Son remplaçant est bien plus « marocain », connaissant les enjeux de la relation avec le voisin du sud. On le dit marocophile car il a passé un an en études à Tanger, mais rien n’est moins sûr. Il est surtout plus réaliste que celle qu’il remplace, plus fin aussi, plus professionnel. Et de toutes les manières, une fois dans son bureau, il découvrira un Maroc qui, sur le plan diplomatique, est différent de celui qu’il avait connu en 2019, avant qu’il n’aille à Paris, quand il conseillait son malchanceux chef Pedro Sanchez.
La géopolitique est mère de géostratégie et dans cette dernière, plusieurs phases se succèdent, constat d’une situation, analyse de ses différents paramètres, réflexion globale, action résolue, offensive au besoin, puis trêve et, éventuellement, retour au calme, mais à un niveau différent de celui d’avant.
Nos adversaires, Algérie depuis toujours et Espagne aussi, bien que de façon plus souriante, ont redonné du muscle à leur diplomatie jusqu’alors confiée à des amateurs. Nasser Bourita n’en a fait qu’une bouchée. En bon concepteur et conducteur de la diplomatie marocaine, il le sait, et sait aussi qu’avec MM. Albares et Laamamra, il devra jouer plus finement car ces deux-là ne lui feront pas de cadeau comme cela avait été le cas avec le ténébreux Boukaddoum et l’approximative Gonzalez Laya.
Notre environnement régional et continental change, et notre géostratégie évolue, au grand jour et dans les coulisses. Espagne et Algérie ont apporté du neuf à leur diplomatie, la France devrait suivre et les Etats-Unis, avec Antony Blinken, sont sur une nouvelle logique. Nasser Bourita, lui, est bien campé sur ses jambes, en dépit de menues erreurs.
Il devrait juste s’assurer de la solidité de son front intérieur, de son opinion publique.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com