par Aziz Boucetta
Il est désormais utile de se demander à quoi joue vraiment l’Espagne avec le Maroc… Bientôt, l’accueil de Brahim Ghali ne sera presque plus qu’une péripétie dans une rupture diplomatique majeure, en dépit de sa gravité et du fait que cet accueil est à l’origine même de la crise actuelle entre Rabat et Madrid, au-delà de la question migratoire. La dernière déclaration d’Arancha González Laya jette en effet de l’huile sur le feu…
Par temps calme, les mots ne revêtent pas le même sens que quand l’orage gronde. Or, l’orage gronde, et les Marocains aussi. L’Espagne a tenté de détourner l’attention de tout le monde avec l’arrivée massive de migrants marocains et subsahariens dans la ville de Sebta, et elle a réussi à mobiliser l’Union européenne autour de la question prioritaire de la migration, faisant presque oublier le cas Ghali. Mais ce dimanche, les deux ministres des Affaires étrangères, Nasser Bourita et Arancha González Laya, étaient dans les médias, français pour le premier, espagnols pour la seconde.
Et alors que la responsable espagnole affirme à la radio publique que son pays maintient des contacts avec le Maroc, M. Bourita dément tout simplement au micro d’Europe 1, ouvrant la voie à une éventuelle médiation française. Mais le plus grave réside dans les termes employés par la ministre espagnole : « Brahim Ghali rentrera dans son pays à sa sortie de l'hôpital de Logroño où il est admis depuis avril, mais nous espérons qu’il s’acquittera de ses obligations envers la justice espagnole », ajoutant et précisant « avant son retour au Sahara ».
Trois mots, appuyés par l’usage de « Sahara », posent problème : « Dans son pays ». Quel est donc ce pays de Brahim Ghali et, par conséquent, à quoi pensait Arancha González Laya en parlant de « pays » ? Trois hypothèses se présentent :
1/ « Son pays » est l’Algérie, qui a remis à Brahim Ghali un passeport diplomatique et a mis à sa disposition un avion présidentiel pour le transporter au nord de l’Espagne, où se trouve l’hôpital où il se trouve toujours. Dans ce cas, pour l’Espagne, pourquoi continuer de jouer un double-jeu dans cette affaire du Sahara ?
2/ « Son pays » serait le « Sahara », comme précisé dans cette même déclaration à la télévision espagnole, reprise par les agences de presse. Que les Algériens, les Sud-Africains et d’autres le disent n’est pas étonnant, leurs positions sont connues… mais que la ministre espagnole des Affaires étrangères dise cela, en cette période de forte tension où chaque mot compte, voilà qui devient problématique.
Lorsqu’on est chef de la diplomatie espagnole, qu’on reçoit en secret et sous une fausse identité le chef du Polisario, on évite de prononcer le mot qui fâche… Pour mieux comprendre, imaginons que Nasser Bourita ait accueilli au Maroc Carles Puigdemont, l’indépendantiste catalan en exil, et qu’il ait déclaré que « cet homme repartira bientôt dans son pays, la Catalogne ». Les Espagnols auraient pris cela comme un propos inamical, voire hostile, et ils auraient eu raison.
3/ La dernière hypothèse serait tout simplement, au mieux, une ahurissante nonchalance de la ministre… et au pire, une singulière incompétence d’Arancha González Laya, qui ne comprend pas l’enjeu de cette affaire, pas plus qu’elle ne prend au sérieux l’irritation marocaine, que les Européens semblent avoir bien notée, eux qui ne disent plus rien depuis plusieurs jours, ayant admis que l’Espagne les menait sur une voie glissante.
Comment cette responsable a-t-elle donc pu dire cela, elle qui avait fait convoquer l’ambassadrice du Maroc quand le chef du gouvernement Saâdeddine Elotmani, interrogé en décembre sur le statut des deux villes occupées de Sebta et Melilla, avait répondu que les deux pays devraient en parler un jour ? Pourquoi n’a-t-elle pas dit qu’ « il quittera l’Espagne », ou qu’ « il retournera en Algérie d’où il est venu » ? Dans la bouche de la cheffe de la diplomatie espagnole, parler de pays concernant Brahim Ghali a une « saveur » particulière… Cela rappelle et souligne l’activisme de la même ministre auprès de l’administration Biden pour qu’elle revienne et annule la décision de Donald Trump sur la souveraineté marocaine sur le Sahara…
Quant à « espérer » que le chef séparatiste s’acquittera de ses obligations judiciaires, voilà qui est encore plus étrange… Si elle espère, c’est qu’elle n’est pas sûre, et cela aussi pose problème.
Il est dommage de confier une question aussi sensible à une personne aussi peu soucieuse des relations de son pays avec le Maroc, ce qui est bien regrettable au vu des intérêts convergents et anciens des deux royaumes.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com