Et si le bonheur devenait une politique publique ? Une vraie, avec un budget, un ministre, des décrets d’application, et surtout des résultats mesurables. Après tout, n’est-ce pas là la finalité ultime de toute action publique ? Offrir à chacun la possibilité de vivre dignement, d’espérer, de rêver, de sourire, même dans les transports en commun bondés ou au guichet d’une administration grincheuse.
Ce n’est pas une idée sortie tout droit d’un conte de fées. Des pays s’y sont déjà essayés. Le Bhoutan, petite monarchie nichée dans l’Himalaya, a remplacé le Produit Intérieur Brut par le Bonheur National Brut comme indicateur de développement. En Nouvelle-Zélande, la Première ministre a présenté un budget du bien-être. Même les Nations Unies ont consacré une Journée Internationale du Bonheur (le 20 mars). Et au Maroc ? Rien, sinon quelques promesses de qualité de vie dans des plans de développement toujours plus ambitieux que concrets.
L’Agence du Bonheur ne serait pas là pour nous distribuer des sourires en tubes ou imposer des siestes collectives. Elle serait chargée d’une mission bien plus subtile : coordonner les politiques publiques à l’aune de leur impact sur le bien-être. Cela signifierait évaluer les effets d’une réforme éducative sur l’épanouissement des enfants, mesurer l’impact d’un nouveau chantier urbain sur la santé mentale des riverains, ou encore repenser le service public à partir de l’expérience vécue par l’usager. Cette agence serait le poil à gratter de la bureaucratie, le rappel constant que l’État n’a pas pour seule mission de construire, réglementer et taxer, mais aussi d’écouter, de prendre soin, d’humaniser.
Bien entendu, parler de bonheur dans un pays où le chômage des jeunes explose, où les inégalités territoriales persistent, où la santé et l’éducation sont encore trop inégalitaires, peut sembler indécent. Et pourtant, c’est peut-être là que l’idée prend tout son sens : faire du bonheur une boussole politique, ce n’est pas peindre un sourire sur un visage fatigué, c’est changer les conditions de vie pour que le sourire vienne naturellement. C’est reconnaître que le bien-être collectif passe par la justice sociale, l’accès à la culture, le droit à la ville, la reconnaissance de chacun.
Oui, une Agence du Bonheur peut sembler utopique. Mais à l’heure où les citoyens se méfient des institutions, où la défiance gronde, où les jeunes cherchent ailleurs un avenir plus serein, rien n’est plus révolutionnaire que de remettre l’humain au centre de la décision publique. Le bonheur n’est pas un luxe. Il est une urgence politique.