Par Adnane Benchakroun
Aujourd'hui, un nouveau rituel a pris le pouvoir. Un virus sournois et silencieux a contaminé cousins, cousines, frères, sœurs, et même — comble de l'ironie — mon oncle hyperactif : la retraite yoga.
Le vendredi matin, les téléphones bourdonnent tous en chœur :
« Bon week-end chers frères, chères sœurs… Moi je pars en retraite yoga. Merci de m’oublier jusqu’à lundi. Namasté. »
Et là, silence radio. Plus personne pour répondre à mes blagues nulles sur le groupe WhatsApp. Plus personne pour organiser un couscous improvisé. Plus personne pour râler sur la météo. Ils sont tous en train de méditer dans un chalet à la montagne ou dans une yourte en rase campagne, buvant du thé matcha tiède et discutant de leur chakra bloqué.
Même ma petite cousine de dix ans a envoyé un message :
« Ne comptez pas sur moi ce week-end, je dois aligner mon énergie lunaire. »
Aligner ton quoi ? Quand j'avais dix ans, mon seul alignement c'était celui de mes billes dans la cour de récréation.
Le phénomène a des conséquences graves.
Déjà, si quelqu'un ose envoyer une photo de burger ou de mojito sur le groupe familial, il est immédiatement shammé :
« Merci de respecter mon jeûne de dopamine. »
Pardon d’exister.
Ensuite, impossible de trouver quelqu'un pour un apéro, une promenade, ou même un simple coup de fil. La réponse est toujours la même :
« Je suis en silence intérieur, je répondrai à ton message quand l’univers m’enverra un signe. »
Ah bon ? Et si l’univers veut juste savoir si tu prends du Coca ou de l’eau ?
Je vous jure, ils ne sont plus humains. Ils deviennent des concepts. Le week-end, ma famille n'est plus une famille, c'est un festival de tapis roulés, de leggings en lin bio, de postures improbables et de mantras marmonnés.
Le pire, c’est que lundi matin, ils reviennent, frais comme des gardons, avec une lumière étrange dans les yeux, et un discours inquiétant :
« Tu devrais essayer, c’est transformateur. »
Moi, transformé ? Je veux bien, mais en pizza, pas en bâton d’encens.
Bref, ce week-end encore, je reste le seul être humain disponible dans cette famille de yogis en devenir.
Je vais aller faire ce que tout homme sain d’esprit fait dans ce genre de situation : commander une pizza, regarder un film débile, et méditer… sur le sens de la retraite yoga.
Sans rancune. Namasté, mais sans moi.