Par Aziz Boucetta
Deux visites ministérielles, concomitantes, ont eu lieu ce lundi 22 novembre. Franck Riester, le ministre délégué français, en charge du Commerce extérieur et de l’Attractivité, se trouvait sur nos terres, et Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, s’entretenait à Washington avec son homologue Antony Blinken. Le premier est venu parler business au Maroc, le second est parti échanger sur les grands principes à Washington.
Or, le 6 novembre dernier, le roi du Maroc disait ceci : « Aujourd’hui, nous sommes tout à fait fondés à attendre de nos partenaires qu’ils formulent des positions autrement plus audacieuses et plus nettes au sujet de l’intégrité territoriale du Royaume (…). À ceux qui affichent des positions floues ou ambivalentes, nous déclarons que le Maroc n’engagera avec eux aucune démarche d’ordre économique ou commercial qui exclurait le Sahara marocain ».
Si on devait analyser cet extrait du discours royal, on en retirerait que désormais, pour faire affaire avec le royaume, il faut préalablement avoir montré patte blanche, affiché une position claire sur nos questions prioritaires, parmi lesquelles, et en premier, le Sahara. Il est vrai que lors des derniers débats autour de la résolution 2602, la France a joué un rôle actif, positif en faveur de l’intégrité territoriale du royaume, mais pas plus que les Etats-Unis qui, eux, ont explicitement reconnu cette intégrité, tout en défendant le sabir onusien à New York sur « la solution politique réaliste, durable, basée sur le compromis, praticablabla… ».
A Washington, Nasser Bourita s’est entretenu avec son homologue US Antony Blinken, insistant tous les deux sur le « très important » accord tripartite conclu entre les Etats-Unis, le Maroc et Israël, consacrant la reconnaissance américaine de la pleine souveraineté du Royaume sur le Sahara. Ce qui importe aux Américains, ce sont leurs intérêts, et Israël. Et le Maroc n’a aucun problème avec les intérêts US dans la région, qui coïncident avec les nôtres, et encore moins avec Israël. Et alors qu’Alger rejette la mission du nouvel Envoyé personnel Staffan de Mistura et menace d’une déstabilisation de la région, Marocains et Américains se félicitent de la nomination de l’Envoyé et se préoccupent de paix et de stabilité régionales.
Rabat et Washington regardent dans la même direction, et feront le chemin ensemble dans cette partie du monde où le Maroc a su se rendre aussi incontournable qu’indispensable.
Avec Paris, il en va autrement… Un ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité, venu s’enquérir des conditions nouvelles de partenariat avec le Maroc, qui sera reçu par des ministres marocains et par la CGEM. Ces derniers devront se poser la question de savoir si la France entre dans la catégorie de « ceux qui affichent des attitudes floues ou ambivalentes »… Pour répondre non, il faudra que toutes les discussions incluent les provinces du sud marocain, et si tel est le cas, il appartiendra à la France de se prononcer clairement sur le statut juridique de ces provinces. SI la réponse est oui, alors M. Riester sera venu passer deux jours de tourisme au Maroc.
Et il ne faut pas oublier cette calamiteuse politique de restriction des visas, décidée par Paris à l’encontre des Marocains, Algériens et Tunisiens, pour contraindre leurs Etats (et la CGEM n’a pas manqué d’en parler à M. Riester). M. Riester devra expliquer à ses interlocuteurs marocains la manière de faire des affaires avec un Etat dont les ressortissants sont traités de manière aussi cavalière. La décision française est très certainement souveraine, mais le Maroc est aussi souverain dans ses potentielles actions et réactions. En gros, le ministre français devra exposer comment ne pas laisser s’effondrer un partenariat qui a mis des décennies à être bâti et consolidé.
Et le gouvernement français devra aller vite, si tant est qu’il soit encore et vraiment intéressé par le marché marocain, car si « l’amitié » est indéfectible, comme on dit, et même immarcescible comme on pourrait dire aussi, la coopération doit être entretenue sur des bases solides, fondées sur l’équilibre et la considération mutuelle. C’est ce qu’a fait Nasser Bourita à Washington, et c’est ce que pourrait difficilement faire un ministre délégué comme Franck Riester au Maroc. La politique des petits pas vs la politique des pieds dans le plat.
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