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Par Mustapha Sehimi
Quelle carrière! Clint Eastwood a été acteur, réalisateur, producteur aussi : il a exploré les multiples facettes du métier. Il est perçu comme une métaphore des États-Unis des décennies écoulées, brutaux, cyniques, virilistes, cupides - à la fois triomphants et fragiles. Mais toujours avec de bonnes raisons...
Un bloc compact
Au cours de ses divers films, Eastwood est tout d'un bloc: fermé, compact, sans états d'âme apparents, sans peur sinon sans reproche, sans fissures. Mais le personnage connaît cependant une profonde évolution psychologique qu'il convient d'interroger. Il est ainsi d'abord animé par des pulsions sommaires et brutales; puis, il se met progressivement au service de normes sociales jusqu'à en devenir même une forme d'incarnation. Une éthique personnelle.
Trois périodes peuvent être distinguées à cet égard: celle de l'aventurier des trois westerns de Sergio Leone, chasseur de primes sans foi ni loi; celle des cinq épisodes de l'inspecteur Harry Callaghan, policier marginal mais intégré au système; celle enfin du vieil homme solitaire et rejeté devenu trafiquant de drogue se dressant face à l'adversité.
Pour ce qui est de la première période, celle de l'aventurier chasseur de primes, il faut rappeler le traitement que Sergio Leone, réalisateur italien, a fait subir au western, ce joyau du récit national américain : des hommes seuls face à l'ennemi aux multiples visages, ne connaissant que la Bible et le... Colt! Les héros y sont moraux et contribuent à faire régner la loi contre des malfrats. Avec la "trilogie du dollar (Pour une poignée de dollars", 1964; et "Pour quelques dollars de plus", 1965; Le Bon, la Brute et le Truand, 1966), Leone en prend le contrepied et déconstruit ce récit. Des aventuriers, sales et pouilleux, se battent sans règle et sans merci; prédateurs, ils s'entretuent pour des trésors qui restent invisibles. L'on ne voit pas le vainqueur ; la quête est sans fin et les meurtres s'enchaînent au long des films.
Ces trois films montrent un homme entièrement soumis à des pulsions, sans surmoi, une sorte de machine à tuer. Dans d'autres westerns, l'esprit est différent: dans Pendez-les haut et court (1968), il poursuit des bandits pour son compte comme pour la communauté. Il y ajoute un rôle de justicier privé, comme une rédemption, dans Impitoyable (1992), avec la vengeance d'une jeune veuve qu'il protège.
Individus supérieurs à l'État
La deuxième période - l'inspecteur Harry contre le crime - comporte cinq films sur dix-sept ans. Leurs scénarios sont très différents les uns des autres. Mais tous, ils montrent un policier peu apprécié de ses pairs du fait de ses méthodes personnelles éloignées des procédures officielles. Il est profondément individualiste. Et solitaire aussi. Il manque d'originalité et relève d'un genre classique du cinéma américain, un filon surabondamment exploité dans les films noirs de série B.
La dernière période est celle du vieil homme isolé et délaissé. Ce qui domine c'est la diversité. Deux films, entre autres, réalisés par ses soins sont ainsi révélateurs d'une vieillesse active (La Mule, 2018; et Le Cas Richard Jewell, 2019). Dans le premier, Clint est un vieillard surendetté qui devient passeur de drogue avant d'être démasqué ; dans le second, où il n'apparaît pas, un agent de sécurité est accusé d'un attentat qu'il n'a pas commis - le film est consacré à la lutte pour faire reconnaître son innocence. Deux films en miroir : un homme simple est victime du système. Une dimension libertarienne se retrouve - les individus sont supérieurs à l'État. Et d'ailleurs, ils n'en font qu'à leur tête; ils sont volontiers transgressifs, ils agissent en fonction de leur morale personnelle; ils sont devenus leur surmoi, qui s'impose face à l'adversité.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid