Par Mustapha Sehimi
La France ? C'est le moral des Français, au plus bas, faisant de ce peuple le plus pessimiste et peut-être le plus déprimé des Occidentaux et même de ceux d’autres latitudes. La France et les Français? C'est encore un pays réduit à un hexagone qui a perdu son empire colonial et qui voit ses habitants faisant face au "mal-être", et baigner dans des problématiques existentielles: qu'est-ce que l'identité nationale aujourd'hui? Une France nostalgique, recroquevillée sur elle-même.
De quoi conduire à d'autres comme le procès de l'Islam, des musulmans, de l'immigration. Un terreau ou la droite dite identitaire en 2022 - et l'extrême droite hier - ont fait leur miel. Un programme ? Pas vraiment. Plutôt un discours imprécateur binaire: "Nous les Français et eux". Avec ce corollaire: une construction populiste et idéologique sur cette notion de "grand remplacement", les musulmans migrants prenant la place des Français de souche et rejetant l'héritage religieux et civilisationnel de deux millénaires : le legs judéo-chrétien.
" Mal pensants" et radicalité
Tout cela, Driss Ajbali l'explique et le documente au plus près. Eric Zemmour ? C'est un ectoplasme - le "mal être" en plus... Ses ressorts les plus profonds sont connus : le rejet voire la haine de l'"Autre", l'étranger - mais l'étranger immigré maghrébin et musulman. Un pédalo toxique dans une vague plus profonde où prévaut et se développe un discours populiste d'exclusion, mâtiné de racialisme et d'islamophobie. Driss Ajbali, raconte ; il décrit finement les processus sociaux et politiques qui ont traversé la société française et largement ruisselé dans certains partis et cercles intellectuels. Une galerie de portraits.
Un tableau de société en crise. Rien d'étonnant à ce que ces avatars nourrissent et pèsent sur le comportement des électeurs et les repositionnements des formations politiques. Des médias - tel Cnews, se sont engouffrés dans ce périmètre. Les maux de la France ? L’immigration et l'Islam : il n'y a rien d'autre... Ce qu'il appelle les "mal-pensants" sont désormais pratiquement en première ligne - des fantassins de la droite, de l'extrême droite même. Et d’ajouter : "On ne sait plus qui est le plus à plaindre, le diffuseur, l'offenseur ou l'offensé".
Dans cette même ligne, une " guérilla conceptuelle" est engagée avec son lot d'outils et de mots-clés tellement clivants mis en avant pour conforter une radicalité en marche. De la division. Et de la désintégration aussi. Eric Zemmour s'est beaucoup investi dans ce champ-là, comme polémiste puis aujourd'hui comme candidat à l'élection présidentielle. Il a compris qu'il y a là un marché avec une offre et une demande et des consommateurs ; il s'est placé comme dealer de reconquête...
Un livre décapant mettant à nu tant de préjugés tenaces qui se sont d'ailleurs accentués. Une opportune publication - il faut la saluer -que l'on doit à trois maisons d'édition du Maghreb (Frantz Fanon- Algérie, Nirvana - Tunisie et La Croisée des chemins - Maroc) et ce à l'initiative du directeur de celle-ci, Abdelkader Retnani. Preuve que la rive Sud de la Méditerranée s'approprie pleinement le droit d'interpeller la rive Nord - la France, en l'occurrence....
*-Driss Ajbali, "Eric Zemmour, un outrage français", Editions "La Croisée des Chemins, Casablanca,. 2022, 571 p.
LODJ avec QUID