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Tunisie, le pays a-t-il mal à son président ou à ses migrants ?


Les déclarations stupéfiantes du Président tunisien faisant état d’un complot « migrationniste panafricain » contre son pays a provoqué une onde de choc au sein du continent africain. En 2018, la société civile tunisienne, pressentant probablement les dérives possibles, avait pourtant réussi à promouvoir auprès des autorités l’adoption d’une « loi organique antiraciste » parmi les plus avancées en Afrique.



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Par Taoufiq Boudchiche

En quelques mots, le Président Kaïs Sayed a balayé les traditions d’accueil et d’hospitalité du pays du Jasmin. Des mots qui ont résonné pour la société civile progressiste tunisienne comme une infamie supplémentaire du pouvoir tunisien envers ce qu’il reste de leur démocratie. Parmi les réactions diplomatiques, il y a eu rapidement celle de l’Union africaine (UA) qui a pris le soin de dénoncer de tels  propos et appelé ses Etats membres à « s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes ».

Les mots du Président tunisien bafouent également  les résolutions du Sommet des Chefs d’Etat et de gouvernements de la Francophonie accueilli par la Tunisie quelques mois auparavant en novembre 2022. Il en a résulté la « déclaration de Djerba » qui a rappelé en effet dans son Article 11, « l’Appel francophone d’Erevan pour le Vivre ensemble par lequel il est réaffirmé un certain nombre de principes et de valeurs devant régir le Vivre ensemble dans l’espace francophone ».

Aujourd’hui, on est loin du vivre ensemble, depuis lundi dernier, craignant pour leurs ressortissants, des pays comme la Guinée et la Côte d’Ivoire, ont organisé des ponts aériens de rapatriement. Par ailleurs, certains populistes dans les pays du Nord ont pleinement tiré avantage de ces propos pour s’en féliciter et justifier leurs idéologies anti-migratoires. D’un point de vue politique, la sortie du président tunisien dénote surtout l’incompétence d’un régime à affronter les problèmes sociaux et politiques au sein du pays. S’en prendre aux migrants africains subsahariens fuyant la misère, la violence et l’injustice n’est point digne d’un Etat moderne.

En effet,  quel est ce pays qui n’a pas parmi ses nationaux des migrants légaux et illégaux à la recherche d’une vie meilleure ? La Tunisie accepterait-elle une telle déclaration de responsables politiques des pays d’accueil de ses migrants vers l’Italie, la France…. Certainement que non.

Jeunes et moins jeunes se ruent, souvent, à leur corps défendant vers les zones de paix et de prospérité. Un phénomène qui n’est pas spécifique à l’Afrique. Les mêmes problématiques se posent en Amérique du Sud, en Asie, en Europe… Mais force est de constater que les solutions collectives préconisées pour traiter cette question sur une base  réaliste et humaniste n’avancent que très lentement. Nous sommes pourtant tous concernés.

Le principe politique auquel sont attachés les gouvernements dans leurs politiques migratoires est celui de la « souveraineté  de décision ». Un principe qui bloque toute solution globale. Il démontre par ailleurs s’il en faut que la pression migratoire ne sera normalisée qu’au prix de véritables politiques de développement  et de progrès économique et social dans les zones délaissées et livrées à la défaillance des Etats.

Autrement dit, la migration est une équation éminemment politique. Migrer résulte d’un choix individuel mais dont les causes sont collectives, sociales, économiques et politiques. Elle résulte des inégalités croissantes entre Nord-Sud/Est-Ouest en plus du mal-développement et de la mal-gouvernance dont les Etats africains, à part certaines exceptions, font encore malheureusement figure de champions mondiaux.

 

La migration est aussi une équation éminemment diplomatique. La déclaration du Président tunisien met  en difficulté la stratégie migratoire (2018-2030) adoptée par l’Union africaine. C’est aussi, un coup dur à l’idéal panafricaniste.

Fort heureusement, le Maroc, sur impulsion royale, fait figure d’exception dans ce climat maghrébin délétère envers les migrants. Par exemple, lors du dernier sommet ordinaire de l’Union africaine tenu à Addis-Abeba, les 5 et 6 février derniers,  le Maroc par la bouche de son ministre des Affaires Etrangères, a fait état  des activités de l’Observatoire Africain des Migrations, en tant que nouvel organe de l’Union africaine. Le Maroc a accepté d’en abriter le siège et son inauguration a eu lieu en 2020.

Une heureuse initiative susceptible de faire avancer le débat ainsi que les politiques migratoires en Afrique en améliorant la connaissance sur ce sujet. Une initiative qui fait contrepoids honorable aux discours de haine et de mépris qui alimentent les fantasmes migratoires qui font le lit des populistes de tous bords. Elle avait été précédée d’autres initiatives royales inclusives comme la légalisation de plusieurs dizaines de milliers des migrants arrivés clandestinement au Maroc.

Il convient néanmoins en réaction à ce genre de déclarations haineuses de la part de décideurs politiques, en défaut d’inspiration, que les sociétés civiles africaines fassent preuve de plus de vigilance face aux « manipulations » et théories « complotistes » qui fleurissent dans les réseaux sociaux sur ce sujet. Il revient également aux autorités locales (préfectures, municipalités, communes…) d’intégrer dans leurs politiques de développement local l’arrivée et l’intégration des migrants pour éviter les tensions communautaires.

Rédigé par Taoufiq Boudchiche sur Maroc Diplomatique
 



Vendredi 3 Mars 2023


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