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Par Dr Anwar CHERKAOUI
Peut-on réellement moderniser un système de santé tout en ignorant cinquante pour cent de ses acteurs ? Voilà la question que soulève ce vide de représentation, et plus encore lorsqu’il s'agit de formation médicale continue (FMC) — un pilier stratégique pour garantir une médecine à jour, humaine et sûre.
La formation médicale continue : un droit, pas une option
La FMC n’est plus un luxe réservé à quelques privilégiés. C’est aujourd’hui une exigence incontournable dans un monde médical en constante mutation. Pourtant, au Maroc, cette mission est menée de façon inégale, désorganisée, et surtout non inclusive. L’accès à la formation reste tributaire de son statut professionnel, de son lieu d’exercice ou des moyens matériels dont dispose le praticien.
Ainsi, un médecin exerçant dans une zone rurale ou dans un établissement pénitentiaire n’a pas les mêmes chances d’actualiser ses compétences qu’un collègue hospitalier en milieu urbain. Et le médecin libéral, pourtant pilier du système, se trouve souvent relégué au second plan.
Un système désarticulé, une vision floue
La problématique n’est pas nouvelle. Les initiatives en matière de FMC existent mais s’éparpillent : aucune structure ne les coordonne réellement, aucune reconnaissance nationale ne leur donne une valeur uniforme. Pire, aucun mécanisme d’incitation ne pousse les professionnels à s’y engager activement. Ni points de carrière, ni incitations fiscales, ni même conditions de renouvellement d’agrément liées à la formation : le système ne récompense ni l’effort ni la mise à jour.
Les médecins libéraux tirent la sonnette d’alarme
Face à ce constat, la Fondation des Enseignants Médecins Libéraux prend les devants en lançant un débat public le 16 avril 2025, avec une proposition concrète : bâtir une stratégie nationale de formation médicale continue, qui soit ouverte à tous les médecins — qu’ils soient libéraux, hospitaliers, militaires ou territoriaux.
Cette stratégie s’articule autour de six axes :
Universalité d’accès : la formation ne doit pas dépendre du statut, du lieu d’exercice ou du niveau hiérarchique.
Interopérabilité institutionnelle : créer un comité national réunissant tous les ministères concernés, les ordres professionnels, les syndicats, les universités et les fondations.
Digitalisation intelligente : lancer une plateforme de FMC en ligne, gratuite, interactive et certifiée.
Reconnaissance professionnelle : intégrer la FMC dans l’évaluation des carrières, des concours et des autorisations.
Décentralisation des formations : proposer des sessions itinérantes dans toutes les régions, y compris les plus reculées.
Éthique médicale : rappeler que se former, c’est aussi respecter le patient et lui garantir une prise en charge actuelle, humaine et rigoureuse.
Un débat fondateur ou un vœu pieux ?
Ce débat du 16 avril ne doit pas rester un simple rendez-vous corporatiste. Il pourrait bien marquer le début d’un changement de paradigme. Mais encore faut-il que le ministère de la Santé, l’État et les institutions s’en saisissent. Car un système de santé équitable ne peut reposer que sur une seule jambe. L’exclusion des médecins libéraux de la gouvernance des GST et de la FMC est non seulement une erreur stratégique, mais un risque sanitaire à moyen terme.
Comme le dit un médecin généraliste de Casablanca : « Un collègue mal formé aujourd’hui, c’est un diagnostic erroné demain. Et ce n’est ni lui, ni le système, ni le patient qui en sortent gagnants. »
Il est temps que le Maroc adopte une vision globale de sa santé. La formation médicale continue ne peut plus rester un privilège à géométrie variable. À l’heure où le pays investit des milliards pour refonder son système de santé, il ne peut se permettre d’ignorer les compétences et les besoins de ceux qui assurent au quotidien la moitié des soins. Une réforme sans les libéraux, c’est une réforme amputée.