Par Aziz Boucetta
En décembre 2020, dans son dernier quart d’heure de présidence, l’ex-président américain Donald Trump avait « proclamé » la reconnaissance officielle et solennelle de l’appartenance du Sahara au Maroc. Allemagne et Espagne avaient sursauté, tressailli, manœuvré… Cet acte diplomatique américain bouleversait leurs calculs et renversait les équilibres que les deux pays, avec la France, tentaient de maintenir depuis un demi-siècle sur leur flanc sud. Quoi de mieux que deux voisins qui ne s’aiment pas pour les « jouer » en permanence ?
Et Joe Biden arriva... amenant avec lui le fol espoir de tous ces gens de le voir revenir sur la décision de son extravagant prédécesseur. Le nouveau président tergiversa à son tour, louvoya, mania le chaud et le froid et recommanda à ses porte-parole d’user d’une langue de bois que même une tronçonneuse ne pouvait scier. Mais, eu égard aux enjeux et aux jeux des puissances et d’Israël, l’Oncle Sam se rendit finalement à l’évidence et se rangea du côté du Maroc.
Pendant ce temps-là, la France poursuivait son très délicat jeu d’équilibrisme entre Alger et Rabat, s’engageant avec le Maroc tout en ménageant l’Algérie, disant ici ce qui plaisait et répétant là ce qui ne risquait pas de déplaire. Paris virevoltait entre l’Histoire et la mémoire…
Cela ne pouvait continuer ainsi, surtout avec les mutations géopolitiques mondiales, le réveil – tout relatif, mais réveil quand même – de l’Afrique, et les nouvelles ambitions régionales du royaume. Armé de la reconnaissance américaine et de la relative neutralité de la Chine et de la Russie, le Maroc accentua la pression sur Madrid et Berlin, et entama une vaste et durable manœuvre d’éloignement de la France. Désormais, ce n’est plus une relation de domination que Rabat ambitionnait avec Paris, mais un partenariat équitable.
Résumons… Parmi les « alliés » du Maroc, la France jouait en pole position, étant la plus engagée aux côtés de Rabat, réussissant « en même temps » à ne pas trop mécontenter la très irritable Alger. Les Américains venaient juste après, brandissant de temps en temps, de loin en loin, leur carte « droits de lhommiste » mais veillant néanmoins à « rédiger » des résolutions onusiennes penchant subrepticement du côté marocain. Les Espagnols proclamaient leur partenariat stratégique avec leur voisin méridional mais caressant les Algériens dans le sens du képi. Quant aux Allemands, ils étaient distants, un peu hautains, semblant indifférents à ce qui n’était à leurs yeux qu’une question africaine, vaine et incertaine.
Aujourd’hui, désormais, Washington est loin devant les autres, Madrid s’est départi de sa neutralité pour verser dans une attitude pro-marocaine, et Berlin s’est résigné à se prononcer en faveur de la thèse marocaine. Les deux capitales rejoignent ainsi la France qui, dans cette affaire, confirme l’adage de « qui n’avance pas recule » ! …
Il appartient aujourd’hui à Paris de faire un choix clair, et de tenter de reprendre sa position privilégiée à l’égard du Maroc. Pour cela, il n’existe d’autre moyen que de reconnaître clairement et explicitement l’appartenance du Sahara au Maroc. La France n’est certes pas contrainte de le faire, mais elle devra en payer le prix, ce qui a déjà commencé, au profit d’autres pays.
La relation entre Paris et Rabat ont singulièrement évolué avec la présidence Macron, qui a mis en selle une nouvelle classe politique plus européenne, moins connaisseuse des enjeux africains, volontiers condescendante, comme la question des visas l’a brutalement montré. Il se trouve qu’au Maroc, depuis le discours royal d’avril 2016 à Riyad, les perceptions ont également évolué et la nouvelle lecture géopolitique est plus frontale, moins amicale.
Avec la crise en Europe qui fait rage et une guerre qui fait ses habituels ravages, l’Europe chercherait à revoir ses relations avec son flanc sud, d’une manière plus radicale, scrutant les faits et calculant leurs effets. La récente « fuite » du monologue d’Abdelmajid Tebboune, organisée par les services du Département d’Etat américain après l’entrevue du chef de l’Etat algérien avec Antony Blinken, donne un aperçu de ce que serait la nouvelle politique américaine à l’égard du Maroc, l’Algérie se montrant incertaine et instable au regard des nouvelles contraintes géopolitiques et « géo-énergétiques ». Peu fiable, en un mot.
Le gouvernement français à venir au lendemain des élections devra trancher dans le sens de l’Histoire et non plus se retrancher derrière d’obscures questions de mémoire.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panora Post