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Par Mustapha Sehimi
Un nouveau mode de gestion
La régionalisation au Maroc ? Un historique d'un demi-siècle. Un processus qui s'est décliné comme suit : création de régions économiques en 1971, intégration de la région dans la Constitution de 1992, régionalisation comme nouvelle collectivité territoriale en 2011 et enfin la loi 111-14 du 7 juillet 2015 relative aux régions. L'on fait davantage aujourd'hui référence à "la régionalisation avancée" conformément à une vision Royale développée dans les discours du Souverain de l'année 2016. Le nouveau gouvernement insiste sur la priorité à donner à ce chantier.
Il met ainsi l'accent sur 71 décrets pour concrétiser l'autonomie royale ainsi que les deux Fonds dédiés (solidarité régionale et qualification sociale). Il évoque aussi le transfert annuel en 2021 et 2022 de 10 milliards de DH aux régions. Il fait également mention de son souci d'amélioration des recettes fiscales des régions avec un relèvement des parts affectés de 5% ; il précise que la priorité est de réduire les disparités territoriales. Il est enfin prévu la prochaine entrée en vigueur de la Charte de la déconcentration. Une approche qui doit accentuer la convergence des politiques publiques et des plans régionaux de développement.
Un grand chantier donc. Il s'articule autour de plusieurs axes dont celui de la bonne gouvernance. Une véritable décentralisation et non plus seulement une déconcentration sans réelle portée de l'Etat central. Une certaine approche "stato centrique" - verticalement descendante - est à écarter au profit d'une autre favorisant les transactions horizontales et transversales entre les multiples acteurs territoriaux.
C'est là un premier pré requis. Il doit conduire à un nouveau mode de gestion accompagnant et soutenant la participation de tous les acteurs locaux. Il a un corollaire : le partenariat, l'instauration de nouveaux rapports entre l'Etat, les collectivités territoriales et les autres partenaires publics et privés. La régionalisation avancée est ainsi adossée à la gouvernance territoriale. Celle-ci est une forme particulière de la gouvernance ; elle est un processus de coordination des acteurs sans doute mais aussi d'appropriation des ressources et de construction de la territorialité. Elle est aussi autre chose : une gouvernance de proximité, sur un territoire déterminée, et dans cette même ligne la proximité institutionnelle ainsi que par la coopération entre les acteurs et ce à plusieurs niveaux.
Ce qui pose la place et la dimension de l'interventionnisme de l'Etat - le partenariat et la régulation plutôt que la tutelle. Ici, en plus des droits et des obligations définies par la loi, tant pour l'Etat que pour les régions, une grande place doit être accordée à la contractualisation entre eux. Le cadre référentiel devra être rénové. La loi organique de 2015 prévoit des dispositifs dans ce sens : la limite du contrôle administratif, le principe de libre administration consacré d'ailleurs par la Constitution, celui aussi de subsidiarité, la région exerçant des compétences propres, des compétences partagées avec l'Etat et d'autres transférées.
Bonne gouvernance
Un autre pan de la régionalisation avancée est celui d'une bonne gouvernance reposant aussi sur la démocratie participative avec aussi son pendant, la transparence et la reddition des comptes. La loi prévoit à cet égard la coopération et le partenariat : avec des opérateurs du secteur public et privé ; avec les collectivités territoriales et même étrangères ; avec des groupements de régions ou de collectivités locales. Il faut y ajouter le principe de la participation des citoyens et des associations. Il est prévu le droit de pétition des citoyens à propos de questions spécifiques lors des sessions du Conseil de la région. Mais qu'en est-il au vrai ?
Les conseils de région n'ont pas mis en place en effet des mécanismes participatifs de dialogue et de concertation pour favoriser l'implication des citoyens. Le législateur a institué un seuil de 300 signatures des habitants au moins pour inscrire à l'ordre du jour du Conseil de la région une question relevant de ses attributions. Pour l'heure, cette procédure n'a pas eu la moindre application...
A la fin décembre dernier, l'état des lieux de la régionalisation dégage un bien contrasté. Les contrats – programmes entre l’Etat et les régions sont de 110 milliards de DH pour douze régions. Leur total est de 35 milliards d'investissement relatifs à 286 projets. Pour leur premier mandat (2015-2021), les conseils de région ont mis sur pied les structures nécessaires. Onze plans de développement régional (PDR) ont été adoptés ; la majorité des SRAT (schéma régional d’aménagement territorial) aussi ainsi que les AREP (agence régionale d'exécution des projets). L'Etat a validé 100 milliards de DH de projet proposés dans 10 PDR. Mais une telle mobilisation de ressources budgétaires nécessite des financements. Or, en l'état, les ressources propres des régions ne suffisent pas : tant s'en faut.
Pour l'heure, seuls 35 milliards de DH ont été approuvés pour 7 contrats-programmes ; d'autres sont en instance (Casablanca - Settat, Rabat-Salé-Kenitra, Marrakech -Safi,...). Le ministère de l'Intérieur est mobilisé pour la mise en œuvre 1a loi organique. Il a aussi organisé des mécanismes de coordination et d’encadrement : un comité de pilotage stratégique, un autre d'évaluation et suivi et enfin des groupes de travail thématiques.
Viabilité et légitimité
Mais il est apparu qu'il était nécessaire de revoir le cadre juridique actuel et d'y apporter des modifications : la définition plus précise des compétences de la région, la formulation actuelle étant par trop généraliste. Le soutien des régions aux entreprises, comment ? Suivant quelles modalités ? Elaboration du plan de transport ? Stratégie régionale d'économie de l'énergie et de l'eau ? Contributions à la préservation de sites archéologiques ? Promotion économique, sociale et produits régionaux ? L'idée d'une nouvelle réforme avance : transfert de certaines compétences à la région (industrie, santé, éducation...) et même d’autres à moyen et long terme (commerce, culture, sport, énergies, eau et environnement...).
La régionalisation avancée comme catalyseur du développement économique : voilà la vision institutionnelle et politique. Reste à réunir les conditions optimales de son implémentation. L'approche sectorielle du budget de l'Etat, dominante, fait peu de place aux exigences d'une régionalisation bien comprise. Par ailleurs, comment développer la capacité de financement des régions ? Comment réaliser une compensation économique entre les régions, le différentiel étant accentué entre certaines articulées autour de grandes métropoles et d'autres dans espaces territoriaux moins bien lotis.
Enfin, cette dernière interrogation : que faire pour promouvoir de nouvelles élites locales et régionales ? Les élus justifient-ils réellement de compétences managériales, ayant été choisis par les partis politiques, lesquels pâtissent de fortes insuffisances en la matière ? Pour le deuxième mandat (2021-2026), les conseils de région sont dans un palier intermédiaire qui doit conduire à des mesures conséquentes pour donner davantage de viabilité et même de légitimité à ces collectivités territoriales. C'est là une grande valeur ajoutée à la modernisation des structures et des institutions de l'Etat. À la démocratisation. Et à un nouvel modèle de développement.
Une plénière et officielle (Abdellatif Miraoui, ministre de l'Enseignement supérieur et Mohamed Mehdi Bensaïd, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication); une autre institutionnelle (Salima Chafiki, présidente de la Cour des comptes de la région Rabat-Salé Kénitra, deux présidents de Conseil de région - Yanja El Khattat, Dakhla Oued-Eddahab et Rachid El Abdi, Rabat-Salé -Kénitra et Mohamed Kadmiri, directeur des institutions locales au département de l'Intérieur). La dernière session a été marquée par l'intervention de Mohand Laenser (ancien ministre de I' Intérieur, ex-président du Conseil de région Fès - Boulemane, et ex-président de l'Association des présidents de région), Nezha Bouchareb (ex-ministre de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et de l'habitat) et cinq experts, universitaires ou professionnels.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid