L’annonce d’une nouvelle station de radio censée « rapprocher les communautés » juives et musulmanes au Maroc et dans la région ne saurait être perçue comme une simple initiative culturelle ou académique. Derrière la façade du dialogue et de la diversité, c’est bien un projet de soft power qui se déploie, avec pour toile de fond la normalisation des relations entre Rabat et Tel-Aviv. Ce projet, qui met en avant l’héritage des Juifs Mizrahim et leurs racines en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, intervient dans un contexte régional explosif, où les tensions israélo-palestiniennes sont à leur paroxysme.

L’antenne se présente comme une plateforme ouverte, diffusant en arabe, en hébreu et en anglais, et visant à favoriser des échanges économiques, culturels et technologiques. Mais en grattant la surface de ce projet « inclusif », une réalité plus stratégique apparaît : la volonté d’Israël d’ancrer davantage son influence dans l’opinion publique marocaine, malgré le soutien constant du Royaume à la cause palestinienne.

Ce projet ne sort pas de nulle part. Il porte la signature d’Ahmed Charai, un acteur influent des médias marocains et internationaux. PDG de World Herald Tribune Inc., éditeur du Jerusalem Strategic Tribune, il est connu pour ses liens étroits avec Israël et ses prises de position tranchées. En témoigne son article incendiaire intitulé « Nous sommes tous Israéliens », publié alors que l’armée israélienne menait une opération militaire de grande ampleur à Gaza.

Son activisme pro-israélien ne date pas d’hier, et il s’inscrit dans une dynamique plus large d’influence médiatique où le Maroc devient une plaque tournante de la communication stratégique israélienne. La chaîne I24 News, qui diffuse depuis le Royaume, illustre déjà cette volonté d’ancrer un narratif israélien dans l’espace médiatique marocain. Cette nouvelle radio s’inscrit donc dans une continuité logique, avec une approche plus subtile mais non moins orientée.

Si le Maroc a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël, il ne s’est jamais écarté de sa position historique en faveur des droits du peuple palestinien. Le Royaume, qui préside le Comité Al-Qods, a condamné fermement les violences en Cisjordanie et à Gaza, appelant à la création d’un État palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Mais cette position diplomatique peine à se traduire en actions concrètes, surtout face à une dynamique israélienne qui semble ignorer toute concession.

Israël ne cache plus son ambition d’annexer la Judée-Samarie, de s’implanter plus solidement au Liban-Sud et de maintenir sa mainmise sur des territoires syriens comme Quneitra. Dans un tel contexte, peut-on réellement parler de réconciliation ou de paix lorsque l’une des parties impose sa force comme seul langage possible ?

Même au sein de la société israélienne, des voix s’élèvent contre cette fuite en avant, dénonçant l’intransigeance du gouvernement et la spirale de violences dans laquelle Israël s’enferme. Alors que les efforts de normalisation se poursuivent au Maroc, il devient crucial de s’interroger sur l’impact réel de telles initiatives médiatiques. S’agit-il d’un outil de rapprochement entre les peuples, ou d’une tentative bien orchestrée de remodeler les perceptions en faveur d’une cause qui, sur le terrain, ne laisse que peu d’espace à la paix ?