Par Mustapha Sehimi
Dans son programme d'investiture devant le parlement, en octobre dernier, le nouveau chef du gouvernement y a en effet longuement fait référence. Ce n'est pas à évacuer; ses deux prédécesseurs PJD (Benkirane et El Othmani) se bornaient à des généralités sans réelle portée. Dans leurs rangs, l'on avait même eu droit à des «sorties» sur «l'art propre», la dénonciation de diverses manifestations musicales –dont Mawazine– sans parler d'un rigorisme tournant à une certaine bigoterie tellement étrangère à la société marocaine, telle qu'en elle-même.
Avec Aziz Akhannouch, cette fois-ci, le discours –officiel en tout cas– paraît au contraire s'en préoccuper. Qu'a-t-il déclaré voici sept mois ? «Une politique culturelle intégrée». Suivant quel référentiel? La préservation de l'identité culturelle nationale et le renforcement de l'attachement aux valeurs de la patrie et de la nation. Dont acte: qui pourrait s'y opposer? Mais comment? Avec la création de «grands projets structurant le secteur culturel». Suit quelle déclinaison des politiques publiques en la matière? Par le rapprochement des services et des espaces culturels, par l'encouragement du public à investir davantage le domaine de l'art, enfin par le développement des arts et de la littérature orale.
Reste la question des ressources budgétaires à mobiliser. Il est prévu à cet égard une hausse des financements publics, des agences de soutien ainsi que des infrastructures renforcées. Il est également indiqué l'amélioration de la situation matérielle des artistes, des créateurs ainsi que l'intégration du capital culturel dans les institutions éducatives, les médias et les lieux de vie. Il faut y ajouter une politique de préservation et de restauration du patrimoine couplée à des formations appropriées dans la gestion culturelle. Globalement, autant d'axes devant concourir à l'émergence d'un «marché du produit culturel».
Deux mois plus tard, le 31 janvier 2022, le chef de l'exécutif revient sur ce dossier à l’occasion de la séance mensuelle des questions orales à la chambre des Représentants. Il a alors annoncé «pour les jours qui allaient suivre» de nombreuses mesures d'implémentation concrète de la politique de son gouvernement. Trois mois et demi après? Rien de bien précis! Il avait parlé de mesures devant garantir les droits culturels des citoyens, une plus forte implication des jeunes, des enfants, des femmes, personnes âgée et des personnes handicapées à la pratique culturelle.
Il a été ainsi fait référence à la création d'un label «Tamayouz» (excellence) relatif aux multiples aspects du patrimoine culturel national –il sera délivré par la Fondation Nationale des Musées (FNM) aux musées privés suivant un cahier de charges. Il offrira des avantages: aides financières de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics, appui scientifique et technique de la FNM, inclusion dans les circuits touristiques... Il faut aussi mentionner l'élargissement et le renforcement de l'infrastructure culturelle, la réduction des disparités spatiales entre les territoires avec des institutions de proximité, l'élargissement et la diversification de l'offre culturelle. De quoi développer donc un modèle d'économie culturelle (création, arts, patrimoine) et ce en coordination, voire en partenariat, aves des acteurs et des institutions nationaux et internationaux.
Le chef du gouvernement a aussi appelé à l'encouragement et à la promotion de nouveaux métiers dans le domaine culturel ne pouvant que favoriser l'emploi des jeunes. Il s'agit dans cette même ligne de soutenir les industries culturelles (théâtre, livre, édition, musique, arts chorégraphiques, arts plastiques et visuels). Une approche devant être élargie aux associations culturelles et aux festivals; elle doit également se prolonger sur la base de partenariats centres culturels /maisons de jeunes autour de projets éligibles aux programmes «Awrach» et «Forsa» lancés cette année. Il faut encore mentionner d'autres annonces: une manifestation théâtrale annuelle sous le thème «le théâtre en mouvement» avec 60 pièces filmées et diffusées sur les chaînes de la SNRT; création d'une institution dédiée aux artistes et créateurs marocains et d’autres projets: création de théâtres régionaux et provinciaux, ouverture de salles de cinéma en exploitant 150 maisons des jeunes et de la culture… En somme, promouvoir la place et le rôle de la culture dans la vie sociale. Et sociétale.
Chargé de l'application de cette orientation, le ministre de la Culture, Mohamed Mehdi Bensaïd, ne manque sans doute ni de bonne volonté ni d'une volonté réformatrice. Mais cela suffit-il pour autant? Rien n'est moins sûr. Ainsi, la contribution de l'Etat en faveur de projets culturels pour 2022 n'est que de… 60 millions de DH! Elle est ventilée comme suit: théâtre (20 MDH), livre (18 MDH), musique et chorégraphie (12 MDH), arts graphiques et visuels (9 MDH), associations, festivals et manifestations (8 MDH).
L’état des lieux reste fortement problématique s'apparentant à bien des traits d'un sinistre... Il importe donc de se doter des moyens –pas seulement financiers– d'une mise à niveau qui prendra des années pour pouvoir porter ses fruits à terme– et durablement. Les salles de cinéma actuelles ne dépassent pas la cinquantaine. Il est proposé de tripler ce chiffre dès la fin 2022 en transformant et en exploitant une bonne centaine de maisons de jeunes et de la culture– à évaluer donc à la fin de décembre prochain. La politique du livre? Un salon du livre a été institué au mois de juin à Rabat. Mais que devient le Salon du livre de Casablanca, traditionnellement organisé au mois de février, et qui, lui, a une notoriété internationale depuis plus de trente ans? Sera-t-il maintenu? Mais alors où se tiendra-t-il, le lieu de la foire étant occupé par des hospitalisations des suites de Covid-19?
Dans ce même registre, il faudrait multiplier les prix et instituer, en plus de celui du ministère de la Culture –doté de 120.000 DH– avec des prix dans les régions. Cette formule a été adoptée dans la région Casablanca-Settat, durant le mandat de Mustapha Bakkoury, mais elle traîne encore depuis des mois à être reconduite par le nouvel exécutif du Conseil de cette même région. Le réseau des librairies est insuffisant et en-deçà du minimum requis. L'administration du département de la Culture comptabilise 650 «librairies» en incluant ce qu'elle appelle des points de vente (kiosques, rayons de grandes surfaces, boutiques...). Que fait-on, par ailleurs, de la lecture et des structures en mesure d'intéresser les citoyens? Il n'existe qu'une seule vraie bibliothèque publique à Casablanca, alors que des centaines voire des milliers devraient assurer un maillage dans les territoires et à proximité des citoyens dans les petites villes et les quartiers des grandes municipalités. Un budget annuel minime de 20.000 DH (soit 200 livres) par bibliothèque aiderait à asseoir un cadre adéquat à une nouvelle politique de la lecture.
D'autres mesures sont à prendre: de nombreux textes sont à revoir (mécénat, loi sur le crowdfunding, droits d'auteurs et droits voisins, bureau marocain des droits d'auteur, application de la réglementation internationale de l'édition (ISBN, dépôt légal)... Et pour finir, cette affaire du Grand Théâtre de Casablanca: achevé depuis un an mais qui n'est pas encore ouvert! Preuve que les institutionnels en cause (mairie, conseil de région, ministère de la Culture) ont encore un effort à faire...
La culture? Un vecteur de développement et de cohésion sociale. Une appropriation collective du legs des siècles. Une ouverture sur le monde. Une valeur ajoutée au tourisme. Mais aussi une image du Royaume à l’international à l’heure des grands chantiers de réformes: un «soft power» venant renforcer d’autres composantes valorisantes.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur le 360