Par Aziz Boucetta
En Espagne, le Maroc est traité comme une affaire intérieure et non une question qui relève de la diplomatie. Les relations sont tellement imbriquées, et l’Histoire est si partagée qu’il serait difficile d’agir autrement. L’Espagne a été occupée huit siècles durant par les différentes dynasties qui se sont succédé au Maroc puis, une fois qu’elle a bouté les musulmans hors de son territoire, elle a poussé son avantage jusqu’à Sebta et Melilla, et jusqu’à aujourd’hui.
L’Espagne a occupé, sous protectorat, le nord du Maroc durant quelques décennies et, après sa rude défaite à Anoual, avait commis quelques menus crimes de guerre en lâchant de l’ypérite sur le Rif. Puis, quelques décennies plus tard, acculée par le Maroc et ses 350.000 marcheurs, elle avait fini par consentir les Accords de Madrid en novembre 1975, rétrocédant le Sahara au Maroc.
C’est là qu’avait commencé cette sorte de double-jeu espagnol à notre égard. Madrid avait tiré profit du manque d’expérience de la diplomatie marocaine pour faire inscrire le Sahara sur la liste des territoires à décoloniser, l’y piégeant pour longtemps, puis avait contracté avec Alger pour empêcher Rabat de recouvrir son territoire, entre autres turpitudes. Et depuis, malgré sa parfaite connaissance des enjeux et de l’Histoire, elle a affiché une neutralité dans la question saharienne.
Plus grave, l’opinion publique espagnole a été modelée par les différentes gouvernements (même ceux qui s’en défendent) dans une sorte de méfiance et même de défiance à l’endroit du Maroc. Et depuis 1975, les deux grands partis ont rivalisé de duplicité, tenant un discours dans l’opposition, son contraire une fois au pouvoir. Jusqu’à l’arrivée de José Maria Aznar, ce grand ami du Maroc qui, avec son assaut idiot contre un rocher à quelques dizaines de mètres de la côte nord du Maroc, a réveillé la conscience marocaine en lui ouvrant les yeux sur cette réalité que l’Espagne ne nous veut pas spécialement du bien.
S’en est suivi Tanger-Med, qui fait des ravages dans les ports sud-espagnols, puis celui de Nador, qui en fera également. Et cette politique de lutte contre la contrebande qui a quasiment ruiné les économies de Sebta et de Melilla… Et l’aménagement général et à très grande échelle du Nord du pays… et l’élaboration des instruments juridiques pour faire valoir les frontières maritimes marocaines…
Cela n’ayant pas été du goût de Madrid, le gouvernement Sanchez a cru faire bien et agir intelligemment en commettant la grosse erreur de recevoir l’année dernière le supplétif algérien qui répond au nom de Ghali et au pseudo de Benbattouche.
Il aura fallu une fermeture stricte des frontières nord, le contournement de l’Espagne par les Marocains du monde, sur requête de Rabat, le rappel de l’ambassadrice pour consultations, une légère « distraction » dans la surveillance des migrations au nord en 2021, l’annulation de tous les rendez-vous bilatéraux économiques ou autres… pour que Madrid consente à revenir à de meilleurs sentiments.
Bien évidemment, le comportement aussi étrange qu’erratique des Algériens concernant le gaz espagnol, cette gentille pression américaine à l’aune de la guerre en Europe et des incertitudes énergétiques pesant aujourd’hui sur l’approvisionnement énergétique européen ont dû encourager les Espagnols dans leur spectaculaire revirement à l’égard du Maroc, matérialisé par la lettre envoyée par Pedro Sanchez au roi Mohammed VI.
A la clé, une petite phrase qui est une grande avancée : Madrid reconnaît désormais « l’importance de la question du Sahara pour le Maroc », et souligne que sa proposition d’autonomie est « la plus » sérieuse, crédible et réaliste. Rabat est satisfait, Pedro Sanchez est reçu en grande pompe par Mohammed VI, une déclaration commune est publiée… et les choses ne seront plus comme avant.
Dans les couples donc, c’est comme dans le reste : ce qui ne tue pas rend plus fort. Et cette relation Espagne-Maroc sort renforcée, et très prometteuse, pour l’avenir… l’avenir africain de l’Espagne et l’avenir sud-américain du Maroc. Une si belle coopération à venir valait bien une petite séparation, sans doute…
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panora Post