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Numérique : Le meilleur...et le pire !


Tout un chacun le sait : le digital occupe une place de premier plan dans la vie sociale. Il a transformé notre travail, nos rapports avec les autres, la manière dont citoyens et acteurs publics se comportent. Avec cette conséquence : une accentuation de la polarisation de l'opinion, à tout le moins par accentuation des divergences et effet de loupe de sa représentation.



Par MUSTAPHA SEHIMI
Par MUSTAPHA SEHIMI
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Tout un chacun le sait : le digital occupe une place de premier plan dans la vie sociale. Il a transformé notre travail, nos rapports avec les autres, la manière dont citoyens et acteurs publics se comportent. Avec cette conséquence : une accentuation de la polarisation de l'opinion, à tout le moins par accentuation des divergences et effet de loupe de sa représentation. 
Prime à la radicalité
C'est aisément observable : sur les réseaux et les chaînes d'info, que voit-on le plus ? Les passionnés, les emportés, les enthousiastes et les vociférants. Le locuteur interrogatif, avec ses doutes, ou tout simplement mesuré et nuancé n’accroche pas tellement. S'est installée pratiquement cette donnée: la prime à la radicalité. Celle-ci est d'ailleurs amplifiée par la manière dont fonctionnent réseaux sociaux et chaînes d'information en continu: les points de vue tranchés et ne souffrant aucune nuance sont ceux qui génèrent 1e plus d’émotions, donc de "vues" et de " partages". Le clic est devenu roi dans l'économie; Google, Facebook et autres ont largement pompé les recettes publicitaires dont se nourrissaient autrefois les médias traditionnels, et l'image ainsi que l'émotion ont pris le pas sur les mots, la mesure et la raison. Rien d'étonnant à ce que chaque évènement soit scénarisé, dramatisé, et ne peut être évoqué que s'il comporte une part de spectaculaire. 

C’est 1’ère de l'instantané et de l'effet Google. Tout est accessible à tous. Sur tout. Et en quelques clics, l'individualisation et la désintermédiation d'un rapport de plus en plus consumériste à la politique ont été amplifiées. Un nouveau paysage médiatique donc; il amène chacun à se croire capable du même niveau d'analyse, de jugement et de sanction sur tous les sujets. Or l'information doit aller avec la connaissance des enjeux, la culture juridique, médicale, scientifique: elles seules permettent de contextualiser la donnée à laquelle chacun à accès. 

Hyper concurrence de récits
Cette nouvelle donnée médiatique emporte bien des effets. Elle engendre ainsi des changements de comportements citoyens dans la forme même de la contestation et du combat social. Un fait qui n'est pas sans incidence sur la manière dont fonctionne la démocratie. Des "happenings" collectifs tiennent lieu souvent de manifestations de masse. Les "médias traditionnels" se voient de plus en plus dessaisis d'une partie de leur pouvoir de " gardiens" du récit médiatico-politique; ils ne sont plus les seuls à choisir ce qui compte et ce qui ne compte pas. Cette mission leur est contestée dans un monde où l'image est produite par tout détenteur de Smartphones ou autres...

Il y a en effet une hyper concurrence des récits. Elle est d'ailleurs adoubée, de fait, par l'évolution des médias traditionnels eux-mêmes. Les chaînes d'information en continu nécessitent d'être abreuvées, sans cesse, à toute heure du jour ou de nuit. Et avec un tel contexte de cycles médiatiques raccourcis, il faut constamment renouveler le coup d'éclat, relancer le buzz, nourrir la polémique. Pareille situation est consolidée par l'empire de l'image qui fonde désormais le nouveau paradigme médiatique et politique. Les mots apparaissent souvent dévalués : l'image s'est installée ; elle est devenue un élément de preuve irréfutable capable de susciter l'émotion - et donc d'entretenir l'attention.

L'image et le symbole ? Ils ont pris le pouvoir sur la statistique; ils ont bousculé ainsi l'analyse et le décryptage. C'est la dictature de l'immédiateté. C'est aussi la concurrence des récits médiatiques par un va-et-vient entre le  "haut" (médias traditionnels) et le " bas" (réseaux sociaux): telles sont les règles du jeu. Elles déterminent une part des modes d'action ; c'est l'aune à partir de laquelle il faut décrypter les mouvements sociaux et politiques du XXI ème siècle. 

Séparatisme numérique
Le  rapport de force entre le gréviste ou le manifestant et le pouvoir ne peut que changer; mais aussi entre le citoyen et les corps intermédiaires. Le rôle du syndicat s'en trouve modifié, souvent affaibli; il ne détient plus le pouvoir de négocier ni conclure des accords, sa "base" pouvant le déborder, voire s'autonomiser. De la même manière, le parti politique n'est plus vu par le citoyen comme l'instrument et le cadre naturel pour porter ses espoirs et ses revendications. Il préfère interpeler directement le responsable. L‘internaute considère que sa parole est légitime, concrète; elle oppose son expérience de terrain - d'entreprise ou d'administration - à celle du "savoir" revendiquée par la figure d'autorité. De plus, ce n'est plus guère dans les partis que les sujets politiques nouveaux émergents. Les " personnalités" et les "collectifs" ont substitué, dans la légitimité de l'action politique, les formes d'organisation et partis traditionnels. Or, quand le "collectif" remplace le " Parti", c'est la "mobilisation" et le "happening" qui remplacent  " l'engagement " et la "campagne", celle-ci supposant une mobilisation de long terme. 

Il n'existe plus de message ni de débat véritablement nationaux - sauf pour ce qui est des fondamentaux du Royaume. Pour le reste, point de vérité partagée; désormais, coexiste une multitude de dialogues entre le citoyen et le politique - des dialogues directs et des interpellations qui se déroulent en parallèle. Chacun peut, depuis son lieu de confinement, débattre dans son couloir numérique avec les interlocuteurs de son choix. C'est le temps du séparatisme numérique rendant obsolète l'agora, la grande délibération publique ...
 
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid
 



Lundi 17 Janvier 2022


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