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Par Aziz Boucetta
… Ce n’est pas gagné car, en un mot comme en cent, il s’agira de relire les textes religieux et interpréter, disons-le, le texte sacré, le Coran. L’objectif est de, ‘’simplement’’, conférer aux femmes la place qui leur incombe au sein de la société, d’une société faite par les hommes, conçue pour les hommes, pensée pour préserver les droits et privilèges des hommes, forcément au détriment des femmes.
Le roi l’a dit, il ne s’agit pas d’autoriser ce que Dieu a prohibé ni interdire ce que Dieu autorise. La formule est générale mais le souverain a tracé la voie en employant des mots comme « modération », « ouverture », « concertation et dialogue » pour débattre des « desseins ultimes de la Charia », ou droit musulman. Autant dire que la voie est ouverte pour changer radicalement les choses, pour peu que les politiques le veuillent réellement, et pour peu que les Oulémas l’autorisent explicitement.
Or, qu’a fait la classe politique depuis cette date, depuis fin juillet ? Rien de bien notable. Alors les femmes, entre autres à travers la Fédération des Ligues des Droits des Femmes, ont pris les choses en main, organisant voici quelques jours une journée de réflexion pour débattre de la question. Et la présidente de la Ligue, Fouzia Assouli, y a donné le ton, en (ré)affirmant que « le féminisme n’est pas dirigé contre les hommes ». C’est juste, mais il faudra en convaincre… les hommes, soucieux de leurs privilèges sous couvert de droit musulman et largement majoritaires en dépit des artifices de parité…
D’éminentes juristes ou exégètes se sont succédé à la tribune lors de cette journée, pour expliquer les choses et réajuster le débat. Ainsi, pour Farida Bennani, en dépit de l’incontestable avancée de la Moudawwana de 2004, force est de constater que ce Code a globalement reproduit et maintenu les dispositions du texte de 1956 car, pour l’auteure d’un livre sur « tazwij tiflate », que l’on pourrait traduire par « le mariage forcé des fillettes », les textes sacrés doivent être interprétés à partir de la réalité sociale et non l’inverse. Or, ce qui est fait aujourd’hui par le législateur est de prolonger le sacré dans le temporel ; et on en conviendra, appréhender les choses de cette manière ne fait ni ne fera avancer les droits des femmes. Jamais.
Et quand le roi évoque le licite et l’illicite, le halal et le haram, la Dre Asma Mrabet affirme que les deux concepts sont d’une grande clarté et d’une encore plus grande limpidité, le halal renvoyant à la justice et à l’équité et le haram signifiant l’inverse. Or, personne de sensé ne peut nier que la situation actuelle des femmes n’est ni juste ni équitable.
Alors, à partir de ces quelques vérités, la question est de savoir ce que requiert le développement du Maroc. La réponse est très simple : adhérer aux normes universelles, appliquer les traités internationaux et respecter l’esprit et la lettre de l’article 19 de la constitution, qui dispose que « l'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes ».
Le Maroc dispose d’institutions comme le CNDH, qui a par exemple assimilé le mariage des mineures à une forme de traite humaine… comme l’université qui regorge d’érudit(e)s expliquant et interprétant les textes sacrés sur la base du réel et de la réalité du temporel… comme des tribunaux abritant un nombre croissant - quoique toujours trop peu important – de juges imprégnés des principes d’égalité et de parité… comme des structures de la société civile qui ne cessent ni n’ont de cesse de rappeler la profonde injustice que vivent les femmes… et comme la monarchie qui, depuis 20 ans, a multiplié les actes et les signes appelant à une véritable parité.
Il ne manque plus qu’une classe politique audacieuse, c’est-à-dire un gouvernement entreprenant et un parlement véritablement soucieux de son rôle et « à la hauteur de la grande responsabilité qui [lui] incombe », comme le lui a si allusivement rappelé le chef de l’Etat lors de son discours d’ouverture de sa session d’octobre.
Dans le cas contraire, toute politique ou velléité de développement ne restera que gesticulation, en l’absence et dans l’exclusion de la moitié de la population.