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Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit, politologue
A la fin juillet, le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, avait présenté à Sa Majesté le Roi le rapport annuel pour l'exercice 2021 ainsi que les évaluations faites pour l'année suivante et même au-delà. La banque centrale avait ainsi relevé qu'après un bond exceptionnel de 7,9% de la croissance en 2021, le PIB devrait enregistrer un médiocre 1% en 2022 avant de s'améliorer autour de 4 % en 2023.
En Conseil de gouvernement, puis devant la commission des finances de la Chambre des représentants, la ministre de l'Economie et des finances, Nadia Fettah Alaoui, a présenté les anticipations de son département liées à une reprise de l'activité économique dans une conjoncture internationale encore frappée de lourdes incertitudes. Elle n'a pas écarté au passage que ses prévisions pouvaient être revues à la baisse pour plusieurs paramètres exogènes (relance ou non dans l'UE, impact du conflit russo-ukrainien, flambée des prix des matières premières, chaînes de valeur, approvisionnement mondial, etc.).
Avec la loi de programmation budgétaire triennale (2023-2025), quelles hypothèses de calcul ont été retenues? Une récolte céréalière de 75 millions de quintaux, un cours du butane de 700 dollars la tonne en 2023 et de 590 dollars en 2025, le Brent à 93 dollars le baril en 2023, et à 78 dollars en 2025, un taux d'inflation autour de 2% pour 2023-2025, une dette du Trésor de 70% du PIB environ, un déficit du Trésor de 4,5% en 2023, puis de 4 % en 2024 et de 3,5% en 2025.
La ministre a ajouté que «l'atteinte de ces objectifs nécessite un ensemble de réformes et de mesures permettant de mobiliser des ressources supplémentaires». Mais lesquelles? Pour le savoir, il faudra donc attendre donc le dépôt du PLF 2023, avant le 20 octobre prochain.
En l'état, bien des contraintes pèsent en tout cas. L'une d'entre elles a trait à la détérioration du pouvoir d'achat des citoyens par suite d'une inflation continue qui s'accentue de mois en mois. A la fin d’avril, elle s'est élevée à 5,9%. A la fin juin, elle est montée à 7,2%, tirée par la hausse des produits alimentaires de 11% par rapport aux douze mois écoulés. Pour ce qui est des grands agrégats économiques, il est prévu une tendance haussière des exportations de l'ordre de 22% -surtout les phosphates et dérivés ainsi que les ventes de la construction automobile. Mais pour 2023, l'on retient surtout une quasi-stagnation.
S'agissant des importations, il faut mentionner l'alourdissement de la facture énergétique (44 milliards de DH), en augmentation de 61% en 2022, les achats de demi-produits (53%) et des produits bruts (+72 %). Pour 2023, tous ces achats devraient se limiter à 0,3% avec un allégement de 9% de la facture énergétique à hauteur de 111 milliards de DH.
Qu'en est-il maintenant des recettes de voyages? Une hausse de 58% par rapport à 2021 et un chiffre de 54 milliards de DH pour l'année en cours et une prévision de 70 milliards de DH en 2023. Les transferts, eux, enregistreraient un chiffre de 87 MMDH -après celui, historique, de 92,7 MMDH de 2021- puis de 84 MMDH en 2023. Il faut aussi évoquer la charge de la caisse de compensation budgétisée à 16 MMDH dans la loi de finances 2022 et qui va plus que doubler en fait au cours de cet exercice avec 35 MMDH (+60 %). Enfin, les réserves de change se sont situées à un niveau confortable de 327 MMDH à la fin juin, soit la couverture de six mois d'importations.
Sur ces bases-là, comment relancer la dynamique des réformes? Dans la note de cadrage du Chef du gouvernement adressée aux ministres, à la fin de juillet dernier, il a été demandé que les différents départements présentent leur programme d'action pour 2023 avec des prévisions de financement. Il a mis l'accent sur quatre axes à privilégier: le renforcement de l'Etat social, la relance de l'investissement, la justice spatiale et le financement des réformes. Des priorités convenues déjà formulées dans son discours d'investiture devant le Parlement en octobre dernier, mais qui ne précisent pas les programmes sectoriels ni les mesures appropriées. Dans les semaines qui viennent, y aura-t-il plus de détails sur les politiques publiques à mettre en œuvre en 2023 et au-delà?
La rentrée politique? C'est aussi, au premier plan, la prochaine session parlementaire, officiellement ouverte par Sa Majesté le Roi le 14 octobre. A n'en pas douter, le Souverain fixera de nouveau une feuille de route, des réformes à poursuivre et même d'autres à entreprendre. Les députés vont débattre des quatre rapports thématiques préparés par les commissions concernées (eau, administration, Plan Maroc vert et flambée des prix).
Sur le plan législatif, il faudra s'atteler à l'implémentation des deux lois-cadres adoptés par le Conseil des ministres, le 13 juillet dernier, à savoir celle sur la Charte de l'investissement. Il reste à adopter les dizaines de textes d’application et ce, dans les meilleurs délais, pour pouvoir donner de la visibilité aux opérateurs. Même observation pour ce qui est de la seconde loi-cadre sur la réforme du système actuel de santé. Pour l'heure, des projets des textes en cours d’élaboration, voire de finalisation (groupements sanitaires territoriaux, haute autorité de la santé, etc.). Qu’en sera-t-il de la centaine de propositions de loi des parlementaires? Silence radio…
Des engagements ont été pris par ce cabinet. Ils ont été annoncés dans le discours gouvernemental, puis réitérés depuis. L’année 2023 doit être celle de leur concrétisation. En 2022, la marge d’action était réduite, pour de multiples raisons: la prise de responsabilité avec un projet de finances préparé par le précédent gouvernement, la crise sanitaire, le conflit Russie-Ukraine, l'impact de la sécheresse avec une récolte céréalière de 32 millions de quintaux, l'envol des prix des matières premières etc. Dans la perspective de 2023, tous ces facteurs pèsent toujours de tout leur poids. Mais cet exécutif a eu le temps et le recul de mieux les appréhender. Il reste à les mettre en perspective, dans une stratégie pour les années à venir.
La question des MRE, évoquée dans le discours du 20-Août, est venue se surajouter à l'ordre du jour gouvernemental déjà bien chargé. En lieu et place de la rhétorique conventionnelle qui a prévalu depuis des lustres, il y a lieu désormais de s'y atteler; il faut en effet se conformer aux orientations du Souverain et aux fortes attentes de cette communauté.
Gérer au mieux, redéployer les politiques publiques avec de fortes inflexions participant des axes stratégiques du NMD et des leviers de changement que ce rapport avait retenus: voilà la tâche d'un cabinet devant se remettre au travail, après bien des flottements. C'est tout un modèle de développement à réarticuler: l'affaire de ce gouvernement, sans doute, mais aussi une exigence nécessitant un large débat national. L'alternative n'est plus tellement, le marché intérieur -étroit finalement- mais dans un modèle d'export dans le nouveau contexte d'ouverture et de globalisation des économies. L'appareil productif doit prioriser une économie exportatrice avec le primat de l'industrie. La voie a été ouverte avec les résultats du Plan d'accélération industrielle (PAI), défini sur la période 2021-2023, qui est un vecteur de nouvelles dynamiques (secteur automobile, développement de l'entrepreneuriat industriel, positionnement du Maroc comme base industrielle et décarbonée).
Il reste cette dernière interrogation de principe: celle de la capacité politique à mener toutes ces réformes. Ressouder la majorité, susciter l'intérêt voire l'adhésion des citoyens, consolider la confiance, du savoir-faire et du faire-savoir: en l'état, ce cabinet est à l'épreuve... Dur, dur, dira-t-on? Raison de plus pour s'affirmer et «faire le job»!