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Le conseil national de la presse et la MAP : la double faute


Le Conseil national de la presse (CNP) vient de se distinguer mais pas à son avantage : tant s'en faut. Voici quelques jours, il a décidé de retirer la carte de presse à Khalil Hachimi Idrissi, directeur général de l'agence publique MAP. Cette décision n'a pas été notifiée à l'intéressé. Mais elle a fait l'objet d'une" fuite"... Etonnant, non ?



Par Mustapha Sehimi

Le conseil national de la presse et la MAP : la double faute
leconseilnationaldelapresse.mp3 A lire ou à écouter en podcast :  (3.12 Mo)

Le Conseil national de la presse (CNP) vient de se distinguer mais pas à son avantage : tant s'en faut. Voici quelques jours, il a décidé de retirer la carte de presse à Khalil Hachimi Idrissi, directeur général de l'agence publique MAP. Cette décision n'a pas été notifiée à l'intéressé. Mais elle a fait l'objet d'une" fuite"... Etonnant, non ? 

Elle a en effet été mise en ligne par un site de la place durant trois jours au moins avant son retrait. Saisi alors par certains membres du bureau, le président actuel, Younès Moujahid n'a pas jugé utile de clarifier la situation : soit en la validant formellement et d'en faire part formellement au responsable de la MAP ; soit de ne pas y donner suite et même de se fendre d'un communiqué précisant que ce n'était qu'une "fake news" ... Il n'en a rien fait. Alors ?

L'on ne peut évacuer à cet égard l'infraction du Conseil. Ainsi, la "fuite" n'est pas difficile à flécher quant à son origine... - viole les dispositions des articles 8 - "Les délibérations du Conseil sont secrètes"- et 10 - Les membres du Conseil sont... tenus à la confidentialité des délibérations et au secret professionnel conformément à la législation en vigueur. Première faute.

Pourquoi ? Le rappel de certains faits aide à formuler bien des interrogations entourant cette "affaire". A l'origine, ce sont plusieurs journalistes qui ont saisi le CNP - de manière "activiste" même - pour mettre en cause le livre de Driss Ajbali, sociologue, médiateur de la MAP, qui a publié, il y a quelques mois un livre de référence : "Figures de la presse marocaine" portraiturant quelque 250 profils. S'estimant diffamés, ils se sont donc mobilisés, en particulier Abdellah Bekkali dont le diplôme de journalisme à Tunis est entouré d'un doute, certains de "ses adversaires" ne comprenant pas " pourquoi il a eu besoin d'aller chercher son certificat à Tunis"... Il se trouve qu'il est aussi Président du comité de la carte de presse professionnelle.

Aucune base légale
Pour mieux appréhender ce dossier, il vaut de rappeler que le CNP a été créé par la loi N° 90-13 laquelle n'a été publiée que le 7 avril 2016 (B.0. n° 64 54 du 28 joumada II 1437). Une institution dont l'élection des membres a été laborieuse, hoquetante même, avec des procédures judiciaires, notamment celle-ci : la MAP décide en mars 2020, de doter ses journalistes de sa propre carte de presse professionnelle.

Sur ces bases-là, quel fondement juridique peut bien avoir la sanction frappant le directeur général de la MAP, à savoir le retrait de sa carte de presse assorti d'une amende de 50.000 DH ? Force est de faire ce constat aucune base légale ne peut sérieusement être invoquée. Il suffit de se reporter à la loi n° 90-13 précitée pour s'en convaincre. Les dispositions de l'article 35 stipulent en effet que " Les journalistes professionnels relevant des services de l'Etat et des établissements publics sont soumis, quant à la procédure disciplinaire, aux textes 1égislatifs et règlementaires applicables aux fonctionnaires de l'Etat ou aux dispositions des statuts selon le cas, comme ils peuvent avoir recours au Conseil". 

En l'espèce, c'est le Conseil qui a décidé de la sanction alors que cette attribution ne lui est aucunement confiée par le législateur. Pour être complet, il convient de préciser encore que le personnel de la MAP - son directeur général aussi - est donc soumis à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires de l’Etat ; et qu'au surplus, s'agissant d'un emploi supérieur ou le titulaire est nommé par dahir royal, c'est un même acte qui peut le sanctionner sur la base du principe juridique du parallélisme des formes - l'organe qui nomme est celui qui révoque. Le Conseil était incompétent en la matière s’est fourvoyé, tel un braconnier, dans des terres réservées, garanties et consacrées par la Constitution. Une méconnaissance regrettable des textes normatifs en vigueur. 

Manquement à la déontologie
Plus encore : un grave manquement à la déontologie professionnelle et aux principes définis dans l'article 1 de la loi n° 90-13 portant création du Conseil National de la Presse:" ... veiller à la sauvegarde des principes qui font l’honneur de la profession et au respect du code de déontologie, des lois et règlements qui régissent l'exercice de la profession..." Enfin, dans cette même ligne, le Conseil n'a pas jugé utile de recourir, pour donner suite aux demandes des diffamés", de recourir à une procédure particulière prévue dans les dispositions de l'article 2 de la même loi : celle du "médiateur" dans les conflits survenus entre les professionnels ou entre ces derniers et les tiers".

De même, pourquoi impliquer le Conseil ? Les "diffamés" avaient en effet la possibilité d'intenter une procédure prévue d'ailleurs par les dispositions de l'article 87 de la loi n° 88-13 de la loi relative à la presse et à l'édition (B.O. 6491 du II kaada 1437 - 15 août 2016) pour réclamer réparation. Un dossier donc bien singulier. En préparant sa décision, le Conseil s'est-il demandé comment celle-ci allait être appliquée ? L'on aurait eu en effet une configuration surréaliste : le directeur général de l'agence officielle MAP, nommé par Dahir royal, dans l'impossibilité juridique d'exercer son activité professionnelle ! Ubuesque...

Une entreprise nationale stratégique
Mais il y a plus : c'est la seconde faute.  Une telle sanction aurait porté atteinte en même temps non seulement aux activités et aux missions de la MAP mais également à l’étendue de ses attributions telles que définies par la loi. La nouvelle loi relative à cette agence précise que celle-ci" peut à titre individuel ou dans le cadre d'un partenariat, entreprendre ses propres projets visant à promouvoir ou à appuyer le secteur des médias, de l'information, de la presse, de l’édition et de la communication".

Le livre incriminé de Driss Ajbali sur les "Figures de la presse marocaine", édité par la MAP, s'inscrit bien dans ce périmètre. Plus globalement, la MAP a d’autre missions : le rayonnement du Maroc en éditant des publications culturelles, économiques, sociales ; la valorisation de l'identité nationale ; le renforcement du Maroc à l'échelle internationale ; et à faire entendre la voix du Royaume dans les instances nationales et internationales. Un service public assuré par une entreprise nationale stratégique. 

Des crédos qui ne paraissent pas, semble-t-il imprégner l'actuel Conseil de la presse nationale pâtissant déjà, dès le départ, d'un déficit de crédibilité : par suite des conditions d'élection de ses membres ; une gouvernance s'apparentant à une gestion et à une direction passablement rentière et clientéliste. Avec cette marque sans doute: l'addition d’ambitions de carrière. Bien loin en tout cas, du référentiel d'un nouveau modèle de développement...


L'ODJ avec Quid  



Mercredi 16 Février 2022


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