Par Abdeslam Seddiki
Les emplois créés sont dominés par la précarité dans la mesure où les secteurs pourvoyeurs sont l’agriculture et les services. En 2022, le secteur des "services" a créé 164.000 postes d’emploi au niveau national (137.000 en milieu urbain et 28.000 en milieu rural), enregistrant une hausse de 3% de l’emploi dans ce secteur par rapport à 2021. La création d’emploi dans ce secteur provient principalement de la branche d’hébergement et restauration (+46.000 postes), du commerce (+36.000), des activités de services administratifs et de soutien (+34.000) et du transports et entreposage (+25.000).
Le secteur de l’"Industrie y compris l’artisanat" a créé 28.000 postes (16.000 en milieu urbain et 12.000 en milieu rural). Ces emplois créés proviennent principalement des activités artisanales (26.000 postes). L’industrie n’a créé en définitive que 2000 emplois, ce qui demeure insuffisant au regard des moyens financiers mobilisés en faveur de l’investissement dans l’industrie.
Le secteur de l’"agriculture, forêt et pêche" qui emploie près de 30 % des actifs occupés a de son côté, perdu 215.000 postes d'emploi au niveau national, 205.000 en milieu rural et 10.000 en milieu urbain.
Enfin, le secteur des BTP, occupant 11 % des actifs, a perdu 1.000 postes d’emploi, résultat d’une création de 8.000 postes en milieu urbain et d’une perte de 9.000 en milieu rural.
Dans de telles conditions, avec une perte de 24000 emplois, on s’attendait en toute logique, à une aggravation du taux de chômage. Mais les hypothèses retenues par le HCP, celles d’une baisse du taux d’activité au niveau national qui demeure inexpliquée, voire énigmatique, ont fait que c’est le contraire qui s’est produit. C’est ainsi qu’entre 2021 et 2022, le nombre de chômeurs a diminué de 66.000 personnes, passant de 1.508.000 à 1.442.000 chômeurs, ce qui correspond à une baisse de 4%. Cette baisse est le résultat d’une diminution de 70.000 chômeurs en milieu urbain et d’une augmentation de 4.000 en milieu rural.
Par conséquent, le taux de chômage est passé de 12,3% à 11,8% : de 5,0% à 5,2% (+0,2point) en milieu rural et de 16,9% à 15,8% en milieu urbain (-1,1 point).
Admettons, pour faciliter le raisonnement, ces hypothèses, on relève deux insuffisances : que cette baisse (supposée) du taux de chômage à 11,8% reste insuffisante pour retrouver le niveau d’avant-covid, celui de 2019 avec un taux de chômage de 9,2% ; que les emplois perdus en 2020 suite à la crise covid, de l’ordre de 430 000, continuent de peser de tout leur poids sur le marché du travail dans la mesure où on a toujours un besoin de 224 000 emplois à créer pour combler cette perte.
Par ailleurs, en prenant l’hypothèse d’un taux d’activité en 2022 égal à celui de 2021, soit 45,3% (au lieu de 44,3%), on se retrouverait au minimum avec 1 530 000 chômeurs et un taux de chômage de 12,45 %.
En tout état de cause, cette baisse du taux d’activité, notamment en milieu féminin, de 1,1 point passant de 20,9 % à 19,8% constitue un camouflet cinglant pour le gouvernement qui s’est engagé dans son programme à augmenter le taux d’activité des femmes de 20 % à plus de 30% à l’horizon 2026. Tout indique, en effet, que cet engagement restera comme d’autres, un vœu pieux tant qu’il n’y a pas une volonté politique réelle pour y parvenir.
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Le gouvernement ne trouve aucune gêne à annoncer que la mise en œuvre du programme connait un « grand succès » arguant que 90% des objectifs fixés en 2022 sont réalisés jusqu'au troisième trimestre de l'année 2022, soit 90 000 postes. Idem pour le programme Idmaj piloté par l’ANAPEC qui a fixé comme objectif d’insérer plus de 120 000 jeunes chercheurs d’emploi en 2022. Ces deux programmes, Awrach et Idmaj, devraient en principe créer à eux seuls plus de 200 000 emplois ! Ce qui n’apparait pas dans les chiffres publiés par le HCP.
En définitive, la problématique de l’emploi et du chômage demeure entièrement posée. Elle nécessite un traitement de choc et une mobilisation générale impliquant l’ensemble des acteurs. Le Maroc a devant lui une opportunité historique à saisir en mettant à profit l’aubaine démographique dont il bénéficie, grâce au rapport favorable entre population en âge d’activité et population inactive. Il doit absolument faire tout pour l’exploiter en créant des opportunités d’emploi décent au bénéfice de ses jeunes.
Malheureusement, quand on voit la situation dans laquelle vit cette jeunesse, il y a lieu de s’inquiéter sérieusement : un jeune sur trois est en situation de chômage ; plus d’un jeune sur quatre âgés de 15 à 24 ans (26% ou 1,5 million) au niveau national ne travaille pas, n’est pas à l’école et ne suit aucune formation. Près de 73,4% de ces NEET (Not in Education, Employment or Training) sont des jeunes femmes dont 41,3% sont mariées et 65,7% ont un diplôme. Nous sommes donc en face d’un gâchis immense dont les conséquences seront incommensurables à moyen et long terme. Il est grand temps de prendre ces problèmes au sérieux..
Rédigé par Abdeslam Seddiki