Par Aziz Boucetta
La France vient de dire officiellement ce qu’elle fait depuis plusieurs mois officieusement… Par la voix du porte-parole de son gouvernement, elle affirme que le nombre de visas délivrés pour les ressortissants des trois pays du Maghreb va être « drastiquement » baissé, de 50% pour le Maroc et l’Algérie, 30% pour la Tunisie (référence 2020). C’est son droit. C’est le nôtre aussi de réagir.
Interrogé ce matin sur Europe 1, Gabriel Attal a dit ceci : « C’est une décision drastique, c’est une décision inédite, mais c’est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays (du Maghreb) n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France (…). Il y a eu un dialogue, ensuite il y a eu des menaces ; aujourd’hui on met cette menace à exécution ». Très peu habile, voire puérile, et certainement inutile.
En cause, le refus, donc, de Rabat, Alger et Tunis de recevoir sur leur territoire les immigrés refoulés de France. Pour ce qui concerne le Maroc, il reçoit ses ressortissants concernés par les fameux OQTF (obligation de quitter le territoire français) mais émet de légitimes réserves sur les autres nationalités. La France, elle, ne le voit pas de cette manière : « elle a des règles en matière de migration », et elle veut les appliquer. Soit, mais pas au détriment de la souveraineté des autres Etats et de la dignité de leurs citoyens. « On espère que ça poussera les pays concernés à changer de politique », martèle le jeune Attal, sûr de lui…
En réalité, l’enjeu est ailleurs, et il est double :
1/ Bien qu’ils s’en défendent, le gouvernement français en particulier et la Macronie en général appréhendent l’élection présidentielle d’avril prochain, dans une France désormais zemmourisée, lepenisée, tétanisée par un débat focalisé sur « c’est la faute à l’autre » !
L’arme du visa, bien que brandie par le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes Clément Beaune en novembre 2020, a été récemment ressortie par nombre de personnalités, dont le candidat à la présidentielle Xavier Bertrand…
2/ Même s’il ne le dit pas, le gouvernement de France et de Macron n’a jamais admis la grande bascule géopolitique et géoéconomique engagée par le Maroc depuis plusieurs années, et plus spectaculairement depuis le 10 décembre 2020, jour de la reprise des relations avec Israël et de la reconnaissance américaine de l’intégrité territoriale marocaine, mise à mal par une politique française faite de manipulation et de dissimulation. La lune de miel entamée entre Londres et Rabat perturbe aussi le confort français au Maroc.
Depuis, une « mini guerre froide » oppose Paris à Rabat, à fleurets mouchetés certes, mais de plus en plus sanguinolents… Lors de la crise de mai entre le Maroc et le parlement européen, la France regarde ailleurs pendant que le Maroc est « condamné », et on ignore son rôle exact dans la brouille de Rabat avec Madrid et Berlin, puis avec Alger… En juillet, une très violente offensive du service public français est menée contre le Maroc dans l’affaire Pegasus, qui a entretemps fait pshiiit (sauf concernant la plainte engagée par le Maroc contre ses accusateurs). Et tout récemment, l’aussi fameux que fumeux documentaire à charge contre le Groupe OCP, réalisé par la société Première ligne, qu’on retrouve très étrangement dans l’affaire Pegasus, a été diffusé sur une autre chaîne du service public français.
Côté Maroc, les pouvoirs publics ont décidé de confier la construction du mégaport de Dakhla Atlantique à un consortium marocain (1,1 milliard d’euros), à la grande déconvenue du groupe Eiffage, et récemment, décision a également été prise de créer des sociétés mixtes marocaines pour remplacer les délégataires des services de distribution d’eau et d’électricité, Lydec, Redal…
Aussi, dans cette affaire de visa, « il y a mensonge, il y a duplicité, il y a rupture majeure de confiance, il y a mépris… donc ça n’ira pas entre nous »... En effet, mépriser des gouvernements de cette manière n’augure pas des meilleures relations à l’avenir, et ostraciser des visiteurs potentiels en France ne préfigure pas de la pérennité de leur attachement à une nation qu’ils connaissent si bien, et qu’ils avaient peut-être commis l’erreur de respecter.
La France vient d’être boutée de la manière qu’on sait hors de la zone indo-pacifique, après avoir été effeuillée dans la région du Sahel. On attend aujourd’hui la riposte du Maroc à cet acte très inamical et encore plus irrespectueux, et elle sera très certainement politique, diplomatique et bien évidemment économique… Avec ces histoires et ses déboires, la France a montré bien du talent pour être si vieille et si vénérable, sans être adulte… et c’est bien dommage.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com