Écouter le podcast en entier :
Par Mustapha Sehimi
A froid, pourrait-on dire, comment se porte l’encadrement des jeunes pour ce qui est de ce sport? Le vaisseau amiral est sans conteste l’Académie Mohammed VI de football. Quelle gouvernance? Et quelle ingénierie de la formation? A l’Université Mohammed V de Rabat, un master spécialisé a été créé voici plusieurs années dans ce secteur. Il donne lieu à des travaux –encore peu nombreux- mais celui d’une impétrante dans son mémoire de fin d’études, Kaoutar El Mrabet, mérite que l’on s’y arrête (professeurs Moulay Smaïl Hafidi Alaoui, Safa Cherkaoui et Bouarfa El Fech).
Son hypothèse de travail est celle-ci: quel est le dispositif actuel pouvant conduire au niveau et au statut de footballeur professionnel? La FRMF s’y attelle depuis des années mais les résultats sont-ils au rendez-vous? Ce sport de haut niveau requiert quoi au juste? Le dépassement de soi. Pour quel but? Améliorer des performances: de l’effort, de la discipline, de l’entraînement, de la continuité, de l’obstination même. Exprimer et libérer des potentialités physiques et mentales: telle est la feuille de route ou plutôt le mot d’ordre. Cela commande un environnement sportif favorable. Bien des modèles ont été présentés par divers auteurs en la matière.
Ils conduisent à ne plus se limiter à la seule responsabilité de l’athlète mais à se préoccuper également du cadre dans lequel il évolue. Le Maroc a-t-il fini par identifier et à promouvoir son propre modèle? En tout cas, les joueurs nationaux se distinguent –les locaux dans les clubs et ceux évoluant surtout dans les pays du Golfe et quelques grands clubs européens.
Parmi les pré-requis, bien entendu, la conduite et la qualité de l’entraînement -c’est le capital de base. Il faut veiller à la surcharge: un d’emploi du temps variable suivant le profil de l’entraîneur mais aussi d’autres paramètres complémentaires. A la base, il faut mentionner les centres de formation des sportifs. Mais dans la pratique, restent encore posés l’audit et le contrôle des centres de formation des clubs. Ils continuent malgré bien des insuffisances et dysfonctionnement, pour certains d’entre eux… Rien d’étonnant qu’un tel laxisme ne permette point à ces clubs d’être à la hauteur de leur mission: tant s’en faut.
Une partie seulement des jeunes espoirs (13 à 21 ans) membres de clubs arrive à intégrer l’équipe professionnelle. Le flux est massif mais les sélectionnés restent minoritaires. Même l’Académie n’échappe pas à cette situation: seuls 45% des jeunes formés ont pu avoir un contrat avec des clubs nationaux de premier plan; 10% d’entre eux ont pu être recrutés dans des clubs étrangers; le reste se case comme il peut…
Une approche méthodologique a été retenue pour cette enquête qui articule la recherche: la collecte des données utiles (infrastructures, école, planification de la pratique sportive, encadrement sportif, médical et psychologique); identification de la méthode des directeurs techniques de la formation; enfin, la détermination des multiples facteurs de la professionnalisation d’un joueur. Avec ce projet d’Académie annoncé par Sa Majesté le Roi, le 14 mai 2008, le Maroc s’est doté d’une structure exceptionnelle.
Le Souverain avait relevé que le football professionnel national était à la peine depuis des années et qu’il convenait de fonder un autre modèle de gouvernance à l’instar des grands clubs internationaux. C’était là une volonté d’asseoir et d’accompagner un nouveau modèle prenant charge les jeunes de 13 à 18 ans.
Une ambition clairement affirmée: celle d’une détection et d’une formation éligible aux exigences et aux standards d’un football professionnel. Les installations réalisées avec un investissement de 140 millions de dirhams sont multifonctionnelles: un pôle administratif, un pôle d’hébergement, et deux autres aussi, médical et pédagogique. L’infrastructure est admirable: 4 terrains (gazon synthétique et gazon naturel), 2 demi-terrains, 2 carrés d’entraînement etc.
Les entretiens réalisés sur place conduisent à ces observations : la formation comme «apprentissage, acquisition d’un savoir ou un comportement», le développement d’un «savoir-faire et d’un savoir-être» pour la personnalité; un palier nécessaire pour espérer se hisser à un haut niveau. Dans ce programme combiné, c’est le corps qui est central –il permet l’acquisition de «techniques et de stratégies» pratiquement fléchées vers «l’incorporation du joueur dans une équipe professionnelle».
La formation sportive est justifiée aux yeux des joueurs soit par le souci d’un meilleur niveau, soit encore par celui de la promotion de leur image pour pouvoir décrocher des contrats professionnels.
Cela dit, force est de faire ce constat global: la formation reste problématique dans beaucoup de clubs nationaux, avec l’absence de structuration organisée, diversité des méthodes de travail. Ce qui prévaut ce sont les matchs comme enjeux de compétition pouvant aider la détection et la sélection.
Il faut aussi mentionner dans cette même ligne les tests physiques et techniques. Quant aux critères privilégiés à cet égard, il faut citer les critères physiques d’abord puis d’autres, morphologiques et l’intelligence de jeu. Quant à l’encadrement sportif, il se décline généralement dans une programmation avec la pré-saison privilégiant, elle, le physique et le tactique, puis lors de la saison la technique. Une planification –indicative mais stimulante- est fixée; elle intéresse et détermine la stratégie du projet de formation -le joueur, l’équipe et le club.
Des objectifs sont ainsi fixés par le directeur technique et le staff de direction. Les résultats obtenus lors des matchs sont pris en compte; ils vont déterminer les carrières des professionnels, une fois leur cursus de formation de haut niveau rempli de manière satisfaisante. Mais au bout de la chaîne, il y a peu d’élus consacrés à l’international. Qu’est-ce qui fait la différence entre les uns et les autres? Le mental, les ressorts psychologiques les plus profonds, l’ambition couplée à la détermination et aux sacrifices à faire. L’environnement social et même familial aide aussi à forger des caractères et des profils.
L’Académie Mohammed VI de football forme trois groupes: les «Minimes» (13 à 14 ans), les «Minimes surclassés» (de 14 à 15 ans), les «Cadets» 16 à 17 ans) et le groupe particulier des «Cadets surclassés» qui participe, lui, au Championnat National Juniors (18 -19 - 20 ans). A noter encore, dans la formation, une place accordée à l’accompagnement à la scolarisation.
Par-delà le modèle de l’Académie de la Maâmora, une synthèse est présentée sur la nature, la dimension et la qualité de la formation sportive au Maroc. Pour ce qui est de la sélection des joueurs, est notée «l’absence d’une stratégie nationale» – il n’y pas un modèle unique mais une pluralité de modèles, sans une véritable batterie de critères pertinents pour ce qui est de la sélection des prédispositions des jeunes.
La planification du programme d’entraînement n’est pas mieux lotie, et ce, faute de normes scientifiques et d’un modèle de performance. Quant à la scolarité des joueurs et à son adaptation au programme d’entraînement, elle présente de fortes insuffisances. De plus, les centres de formation ne sont soumis à aucun contrôle du département de tutelle…
Il manque un guide de formation et une grille affinée et opératoire d’un modèle de performance. Le potentiel est là et le football se distingue par plusieurs aspects cumulatifs: un facteur de développement, un vecteur d’intégration des jeunes dans la vie active ainsi qu’un puissant levier fédérateur, renforçant tant le lien social que la cohésion de la société.
L’Académie Mohammed VI de football se veut un pôle d’excellence –un projet et une œuvre inédite dans le continent. Une image du Maroc d’aujourd’hui confortant son rayonnement à l’international. C’est cependant le reste du «système» de formation national qui reste encore bien décalé: il a besoin d’une mise à niveau à la hauteur des attentes, des espoirs et des ambitions du public sportif national.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Le 360