Par Naim Kamal
Une époque où L’Opinion avait pignon sur rue et Mounir Rahmouni – on avait au journal cette drôle d’habitude de nous appeler par nos prénoms et noms -, avait prise sur une bonne tranche de l’électorat du journal.
La page de Rabat s’intéressait à ce que les ‘’barons’’ du journal considéraient comme du subalterne : les nids de poule dans les artères de la ville, l’éclairage des rues qui ne fonctionne pas, les égouts bouchés, les services d’hygiène qui tournent au ralenti, les rats qui infestaient les quartiers… rien de ragoutant pour les ‘’éditorialistes’’ autoproclamés qui pontifiaient sur la démocratie sans être démocrates, défendaient la cause palestinienne sans jamais prendre part à une manifestation de solidarité.
Un monde étranger à Mounir Rahmouni plus préoccupé par le quotidien des gens qui le lui rendaient bien. Souvent quand on s’annonçait comme journaliste à L’Opinion, la réponse la plus fréquente était : ‘’Ah oui, vous connaissez Mounir Rahmouni…’’ Ce qui n’était pas pour combler nos egos.
Son billet Sens interdit qui contrevenait quotidiennement aux lignes de la censure prévalente en ces temps, contournant les prohibitions par des jeux de mots volontairement premier degré, était parmi les plus lus. Je me rappelle de mon enthousiasme à l’avoir comme superviseur. Notre collaboration n’allait cependant pas durer longtemps. Rapidement on allait le décharger de cette ‘’besogne’’ pour le laisser se consacrer à sa Page des jeunes qui deviendra pour ses lecteurs L’Opinion des Jeunes, titre que le portail de L’Opinion vient de se choisir. Un hommage et une nostalgie pour un âge d’or.
L’homme que je découvrais en travaillant au journal était aux antipodes de ce que l’on pouvait croire. On l’imaginait jubilatoire et expansif, il était réservé à la limite de la timidité, introverti diront certains. Une intelligence silencieuse qui ne s’exprimait que dans l’écrit. Qui reste. Il rejetait les clans, refusait la confrontation à laquelle pouvaient donner lieu les ‘’conflits d’espace’’ et les divergences d’opinion au sein de la Rédaction.
D’un sourire, ou son esquisse, énigmatique, il laissait l’impression de se moquer de ces querelles de boutiquiers. Et à y penser rétrospectivement, on l’a rarement, sinon jamais, vu rire. Son foulard ‘’fétiche’’ bien noué autour du cou à l’intérieur du col, il filait son petit bonhomme de chemin, indifférent à l’exhibition des ‘’savoirs’’, et l’étalage des émotions indisposait sa discrétion.
Rapidement sa page des Jeunes allait conquérir les cœurs et les esprits de son public cible. Poètes en herbe ou en gestation, graines de nouvellistes, projets de romanciers, photographes amateurs, sa page devenue ses pages des Jeunes, s’est transformée en moins de temps qu’il ne fallait pour s’en rendre compte en un espace de débats sociétaux. Un ‘’mur bleu’’ avant l’heure qui offrait aux sans tribunes une tribune.
Aux grands évènements géopolitiques, il préférait l’insolite, l’information drôle, l’innovation qui étonne, l’anecdote et la blague juste pour un sourire. Sans plus et sans autre prétention.
Il tenait aussi un billet de critique des programmes de télévision, Télécritique, une pratique rare qu’il a inaugurée et qui ne lui valait pas que des amis. Ses centres d’intérêts s’étendaient aux arts et particulièrement à la chanson et aux chanteurs. Longtemps il entretiendra une relation de tendre amitié avec des stars de la musique arabe, l’égyptien Abdelhalim Hafid et le marocain Abdelouahab Doukkali. Mais pas que.
Mounir Rahmouni croulait sous le courrier des lecteurs. Chaque jour il recevait des plis qui faisaient jaser d’envie les confrères. Jalousement il conservait ses lettres des lecteurs, les alignant sur son bureau les unes sur les autres, jour après jour, jusqu’à disparaitre derrière. Pour le voir, il fallait au début se mettre sur la pointe des pieds, et par la suite contourner le bureau.
C’étaient ses trophées, ses titres de noblesse, ses remparts contre les agressions extérieures, son patrimoine qu’il amassait dans une fièvre sans convulsions, jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à l’asthme, ou une autre affection respiratoire - il était discret, forcément, sur le sujet -; jusqu’à ce que les médecins le convainquent que c’était des attrapes poussières nuisibles à sa santé.
Seulement alors il s’est résigné, sans doute la mort dans l’âme, à les classer dans des placards. Ce fut le début d’un départ sans retour à l’image de sa vie, lentement, sans vagues, sans bruit, juste ce sourire dont lui seul saisissait les sens.
Rédigé par Naim Kamal sur Quid