Écouter le podcast de cet article :
Par Aziz Boucetta
Ce n’est plus un simple clapotis d’actualité mais un véritable raz-de-marée de réalité.
Abdellatif Jouahri annonce un taux directeur en augmentation à 3%, pour la première fois depuis 2014, et corrige à la baisse les prévisions de croissance trop optimistes du gouvernement, rappelant au passage la décompensation programmée en 2014 et le maintien de l’inflation qui va avec.
S’en suivent cafouillages, rumeurs de demandes d’arbitrage royal, retrait puis remise en ligne du communiqué de la banque centrale, silence inhabituel de M. Jouahri… et mutisme ordinaire du gouvernement.
Puis Ahmed Lahlimi s’invite à son tour, à travers un entretien accordé à nos confrères de Médias24. L’ancien ministre et haut-commissaire au plan y explique que l’inflation est structurelle en raison du choc sur l’offre agricole et donc alimentaire, elle-même due à l’avancée de l’aridité du pays et donc à la baisse de la production. M. Lahlimi en appelle donc à une refonte structurelle de la politique agricole du royaume pour pouvoir assurer, à terme, notre souveraineté et sécurité alimentaires.
Cela ramène au premier discours prononcé par le roi à l’occasion de l’inauguration du nouveau parlement, en octobre 2021, en présence du gouvernement Akhannouch au grand complet : « Qu’elle soit sanitaire, énergétique, industrielle, alimentaire ou autre, (la) préservation (de la souveraineté) est devenue l’enjeu d’une véritable compétition qui suscite des réactions fébriles chez certains. (…) Nous appelons à la création d’un dispositif national intégré ayant pour objet la réserve stratégique de produits de première nécessité, notamment alimentaires ». Bien sûr, cela n’a pas été fait.
Deux grandes problématiques sont dès lors ouvertes :
1/ La tension inflationniste actuelle est-elle structurelle... et due à l’offre comme le pense M. Lahlimi, ou à autre chose de pas très précis, comme le suggère confusément M. Jouahri dans la dernière décision de Bank al-Maghrib ? De la réponse à cette question dépendra la politique future du pays ;
2/ Dans un pays présentant une vulnérabilité accrue au changement climatique (3 sécheresses sur les 4 dernières années), quand (et accessoirement par qui) pourra être totalement refondée la politique agricole nationale, ses capacités, ses perspectives, ses objectifs, ses politiques publiques ? De la réponse à cette question dépendra, aussi, la politique future du pays.
Remarquons que dans l’un ou l’autre cas, le Nouveau modèle de développement subit l’effet tunnel et semble être déjà, et vite, entré dans l’Histoire du Maroc. Plus personne n’évoque ces taux de croissance de 6% et de 10% nécessaires pour financer les réformes et les chantiers.
Le pays en a déjà entamé certains (santé, éducation, dessalement…) mais sans réponse aux deux questions ci-dessus, il court le risque de tout déséquilibrer, budget, finances, monnaie, approvisionnements… et paix sociale.
Un débat doit donc se tenir sur la politique à mettre en œuvre, et c’est au gouvernement de le lancer, dans la concertation, par la réflexion, la conception, l’explication/communication et l’implémentation, dans le temps et dans le cadre d’une politique soutenue.
Mais une politique soutenue, cela signifie le long terme et donc au-delà de la mandature actuelle ; le débat doit donc s’ouvrir sur les autres composantes politiques, toutes, et expliquer aux syndicats et autres corps constitués.
Une telle démarche nécessite de la présence intellectuelle, de la vision long-termiste, de l’audace réformatrice, de la capacité d’action et de l’effectivité des politiques… Il ne faut pas que là où on demande un implant, une greffe, le gouvernement continue d’appliquer des rustines, comme ses mantras habituels « on va mieux contrôler les spéculateurs, et on va les sanc-tion-ner », et « on suit ça de près, ça ira mieux dans les semaines voire les jours qui viennent, inchallah ».
La politique cartoon ne marche plus.
Le gouvernement saura-t-il faire toute cela, conduire ce débat, le nourrir, l’enrichir, le porter et le supporter, pour arriver à quelque chose qu’il fera réellement ?
Le silence de Ssi Akhannouch est d’ores et déjà coupable. Le pays a besoin aujourd’hui plus que jamais d’un chef de gouvernement, d’un vrai qui agit et qui explique son action, pas de l’éternel autosatisfecit auquel plus personne ne croit et face auquel le grondement de colère monte…
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost