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Interview avec Jacques Sapir : «Le Maroc pourrait s’approvisionner en produits pétroliers russes auprès des raffineurs indiens»


Jacques Sapir, économiste spécialiste de la Russie, directeur d'études à l'EHESS et membre de l'Académie des sciences de Russie, analyse le futur des relations économiques Russie-Afrique.



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Par Soufiane Chahid

Même s’ils ne sont pas directement concernés par la guerre en Ukraine, les pays africains subissent de plein fouet les répercussions du conflit, notamment la hausse des prix des matières premières (gaz, pétrole, blé). Les pays occidentaux ont-ils mesuré l’impact des sanctions contre la Russie sur le reste du monde ?

Vous avez effectivement tout à fait raison de poser le problème des conséquences de la guerre en Ukraine et des sanctions sur les pays africains. On pourrait aussi y ajouter ceux d’Amérique Latine. Quand ils ont décidé de prendre des sanctions contre la Russie, les dirigeants occidentaux, ceux de l’Union Européenne et ceux des États-Unis, ont grandement sous-estimé le poids de l’économie russe et sa place centrale pour les marchés internationaux des matières premières.

Cette erreur initiale ayant été faite, ces mêmes dirigeants n’ont pas cherché à la corriger. C’est, me semble-t-il, le produit d’une vision du monde étroitement centrée sur le bassin nord-Atlantique. Se considérant comme «au centre du monde», ce qui est désormais une illusion, ils ont méprisé les problèmes que leurs politiques étaient en train d’engendrer.
 
Le refus de la majorité des pays africains et arabes de condamner l’invasion russe en Ukraine devrait-il être interprété comme un signe que l’influence occidentale est en perte de vitesse dans ces pays, et que la Russie a une meilleure image auprès des peuples africains et arabes ?

 
Oui, naturellement. Non que nombre de ces pays soutiennent explicitement la position russe. Mais, la condamnation de l’action de la Russie leur paraît relever d’une politique européenne, et la démonisation de la Russie, à laquelle nombre de pays européens et les Etats-Unis s’adonnent, leur semble ridicule, surtout au regard de ce qui fut fait chez eux. Il y a donc une attitude qui relève du «c’est votre affaire, pas la nôtre». Après, il faut aussi considérer qu’effectivement l’image de la Russie est souvent bien meilleure que celle des pays occidentaux.

Il y a plusieurs raisons à cela, l’héritage de la politique de l’URSS, mais aussi une politique de la Russie qui a traité bien plus d’égal à égal avec les pays africains que certains pays européens. Enfin, il y a une indéniable perte d’influence européenne sur le continent africain du fait d’une politique intelligente de la part de la Chine. En France, nous avons tendance à accuser la Russie pour notre perte d’influence en Afrique sans nous rendre compte que cette dernière résulte en fait de nos propres actions (en particulier en matière de développement économique), de notre alignement sur la politique américaine, qui a commencé avec le Président Nicolas Sarkozy, et du fait que, depuis une vingtaine d’années, la Chine est apparue comme une alternative aux politiques occidentales. Plus que du néocolonialisme, c’est de la paresse intellectuelle. Et cette paresse se traduit par un effondrement progressif de l’influence occidentale.
 
Face aux sanctions occidentales, Moscou va-t-il privilégier dans le futur l’Afrique comme destination pour ses exportations et ses investissements ?
 
La Russie va certainement chercher à exporter du matériel de transport vers l’Afrique. Elle en a les capacités. De même, les entreprises russes ont investi et continueront de le faire en Afrique. Mais, en termes de priorité, je pense que la Russie va plus privilégier l’Asie, des pays comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, le Vietnam, que l’Afrique, car les marchés de ces pays sont beaucoup plus attractifs actuellement que les marchés des pays d’Afrique.

Comment la Russie compte-t-elle réaliser ses échanges commerciaux avec l’Afrique sans passer par le dollar (risque de sanctions) et le système SWIFT ?
 
Vous avez raison de signaler le problème, qui ne concerne pas que le dollar mais aussi l’euro par ailleurs. Dans un premier temps, la Russie va proposer de commercer soit en rouble, soit en yuan, voire même en roupie (en Afrique de l’Est). Les progrès réalisés par la Russie dans la dédollarisation de son commerce depuis les neufs derniers mois indiquent qu’il y a de grandes possibilités pour utiliser ces monnaies. L’utilisation du yuan pourrait d’ailleurs apparaître comme bénéfique pour certains pays qui sont déjà connectés en partie sur le système des paiements chinois qui peut offrir une alternative au dollar et à SWIFT.

A terme, il est probable que la Russie va construire son propre système international des paiements. De plus, il y a la possibilité que les BRICS constituent une monnaie commune qui pourrait être utilisée pour les transactions commerciales mais aussi pour les emprunts et les investissements. Des solutions seront donc assez facilement trouvées.
 
Les statistiques sur les derniers mois montrent une accélération des exportations russes de produits pétroliers vers plusieurs pays non-européens, dont le Maroc. Cela risque-t-il de changer après l’entrée en vigueur des sanctions européennes sur les produits pétroliers russes, prévue le 5 février ?
 
La question est ici double. D’une part, le Maroc souhaite-t-il appliquer les sanctions de l’UE ? S’il considère que ces sanctions ne le concernent pas, la Russie a tous les pétroliers nécessaires pour continuer le commerce. D’autre part, la Russie vend du pétrole brut à des raffineurs indiens. Le Maroc pourrait donc s’approvisionner en produits raffinés auprès de ces raffineurs.

Rédigé par Soufiane Chahid sur L'opinion



Jeudi 9 Février 2023


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