Les oasis marocaines, écosystèmes ancestraux et réservoirs de vie au cœur des zones arides, traversent une crise sans précédent. Face à l’avancée du désert, au changement climatique et aux mutations socio-économiques, elles doivent faire l'objet d'une stratégie ambitieuse, transversale et territorialisée.
Cet article propose une lecture systémique des défis et opportunités, en s'appuyant sur les réussites marocaines, les enseignements internationaux et les innovations à mobiliser pour bâtir la résilience oasienne du XXIᵗ siècle.
1. Les oasis marocaines : une richesse patrimoniale menacée
Systèmes agro-écologiques millénaires, les oasis marocaines couvrent près de 15 % du territoire national et abritent environ 1,5 million d’habitants. Elles concentrent une biodiversité remarquable, des savoir-faire agricoles uniques, et une culture matérielle et immatérielle dense.
Leur modèle de production traditionnel, basé sur une stratification végétale (palmier dattier, arbres fruitiers, cultures maraîchères) et une gestion collective de l’eau (khettaras, séguias), constitue un exemple de durabilité adapté aux zones arides.
Mais cette richesse est aujourd’hui gravement menacée. Selon le Rapport 2022 de l'ANDZOA, plus de 60 % des palmeraies traditionnelles sont dégradées. Les dynamiques d’ensablement, la salinisation des sols, le recul de la nappe phréatique et les incendies récurrents fragilisent davantage ces territoires. À cela s'ajoute l'exode des jeunes, la perte des savoirs locaux, et la pression sur les terres agricoles.
2. Une approche systémique pour penser la résilience
Les oasis sont des systèmes socio-écologiques complexes : leur dégradation est à la fois la cause et la conséquence de multiples facteurs interconnectés. Une lecture sectorielle ne suffit plus. Il est urgent d’adopter une approche holistique, intégrant les dimensions écologiques, sociales, économiques, culturelles et institutionnelles.
Cela implique de travailler simultanément sur :
• La restauration des fonctions écologiques (eau, sol, biodiversité),
• La diversification des activités économiques (valorisation des produits oasiens, écotourisme, artisanat),
• La gouvernance participative (communautés locales, femmes, jeunes),
• L’intégration des oasis dans les politiques de développement territorial et climatique.
Cette approche systémique est défendue par plusieurs organismes internationaux, dont la FAO et le FEM, et s'inscrit dans les Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment les ODD 6 (eau), 13 (climat), 15 (terres) et 11 (villes et communautés durables).
3. Des initiatives marocaines inspirantes, mais insuffisamment capitalisées
Le Maroc ne manque pas d’expériences locales inspirantes. Le Programme de Développement des Zones Oasiennes et de l’Arganeraie (PDZOA), piloté par l’Agence Nationale pour le Développement des Zones Oasiennes et de l’Arganeraie (ANDZOA), a permis de financer près de 1 000 projets entre 2012 et 2020, touchant l’accès à l’eau, la réhabilitation des palmeraies, ou la diversification des revenus.
Dans la vallée du Drâa ou à Figuig, des coopératives locales ont su valoriser la datte, les plantes aromatiques ou le patrimoine architectural dans des circuits courts ou des niches à haute valeur ajoutée. À Tafilalet, des projets de replantation de palmiers résistants au bayoud ont été menés avec succès, en lien avec les communautés.
Mais ces initiatives restent souvent isolées, sous-financées, et peu capitalisées. Le manque de suivi, d’accompagnement technique et de dispositifs de mise à l’échelle limite leur impact systémique. Il manque un cadre de convergence, un mécanisme de mutualisation et une volonté politique forte pour faire des oasis un axe stratégique de la planification nationale.
4. Bonnes pratiques internationales : s’en inspirer pour innover
Dans d’autres pays oasiens, des modèles de gouvernance et d’innovation territoriale émergent :
• En Tunisie, le "Projet PAMPAT", soutenu par l’ONUDI et le Secrétariat d’État à l’économie de la Confédération suisse (SECO), a permis de structurer des chaînes de valeur autour de la datte Deglet Nour, avec des labels de qualité, des centres de transformation et des marchés d’export.
• En Iran, la réhabilitation des qanats (systèmes d’irrigation ancestraux) est liée à des mécanismes communautaires de gestion et de partage des bénéfices, reconnus par l’UNESCO.
• Au Burkina Faso, des dispositifs de paiements pour services écosystémiques sont expérimentés pour encourager la reforestation et la conservation de zones sensibles, avec des retours financiers directs pour les paysans.
Ces exemples montrent l’intérêt de combiner modernisation écologique, innovation sociale, ancrage territorial, et insertion dans des marchés durables.
5. Les innovations à capitaliser : pour un modèle oasien renouvelé
Le Maroc peut capitaliser sur plusieurs leviers d’innovation pour repenser l’avenir de ses oasis :
• Une ingénierie hydraulique intelligente incluant restauration des khettaras, goutte-à-goutte intelligent, bassins de rétention naturels.
• Une Agroécologie et permaculture oasienne avec une diversification des cultures, le retour aux variétés anciennes, l’agroforesterie.
• La digitalisation grâce à des plateformes facilitant l’accès au marché, la traçabilité des produits, des alertes climatiques communautaires.
• Économie circulaire locale privilégiant la valorisation des déchets agricoles, le recours á énergie solaire communautaire, l’habitat bioclimatique.
• Écotourisme éthique et culturel via des circuits immersifs, des hébergements solidaires, les musées du palmier et festivals du terroir.
6. Pour une stratégie nationale oasienne : propositions clés
Reconnaissance officielle des oasis comme territoires stratégiques dans les plans nationaux (Programme National des Ressources en Eau et du Climat, Stratégie Nationale de Développement Durable, Schémas Régionaux d’Aménagement du Territoire).
Lancement d’un fonds spécial pour la résilience oasienne, adossé à des financements climatiques internationaux (Fonds vert pour le climat, Fonds pour l’Environnement Mondial).
Création d’observatoires territoriaux oasiens pour le suivi écologique, social et foncier.
Structuration des filières locales (dattes, plantes aromatiques et médicinales, artisanat, tourisme), avec appui technique et accès aux marchés.
Intégration des jeunes et des femmes comme acteurs-clés de l’innovation territoriale.
Renforcement de la coopération Sud-Sud autour des zones arides et oasis : Maroc, Afrique sahélienne, Moyen-Orient.
Les oasis marocaines sont bien plus que des paysages d’exception : ce sont des territoires de vie, de mémoire et d’avenir. Leur sauvegarde exige un changement de paradigme : sortir de l’urgence pour bâtir la résilience, passer de l’expérimental à l’systémique, du local au national.
Le Maroc dispose de toutes les cartes pour faire des oasis un modèle de développement durable intégré, au service de ses populations, de ses territoires et de sa diplomatie environnementale. Il est temps d’agir avec ambition, cohérence et volonté politique forte.